<body><script type="text/javascript"> function setAttributeOnload(object, attribute, val) { if(window.addEventListener) { window.addEventListener('load', function(){ object[attribute] = val; }, false); } else { window.attachEvent('onload', function(){ object[attribute] = val; }); } } </script> <div id="navbar-iframe-container"></div> <script type="text/javascript" src="https://apis.google.com/js/platform.js"></script> <script type="text/javascript"> gapi.load("gapi.iframes:gapi.iframes.style.bubble", function() { if (gapi.iframes && gapi.iframes.getContext) { gapi.iframes.getContext().openChild({ url: 'https://www.blogger.com/navbar.g?targetBlogID\x3d8950869\x26blogName\x3dGarawal+(amud+o\x27+awal)\x26publishMode\x3dPUBLISH_MODE_BLOGSPOT\x26navbarType\x3dBLACK\x26layoutType\x3dCLASSIC\x26searchRoot\x3dhttps://garawalaudela.blogspot.com/search\x26blogLocale\x3dfr_FR\x26v\x3d2\x26homepageUrl\x3dhttp://garawalaudela.blogspot.com/\x26vt\x3d8110856493146485730', where: document.getElementById("navbar-iframe-container"), id: "navbar-iframe", messageHandlersFilter: gapi.iframes.CROSS_ORIGIN_IFRAMES_FILTER, messageHandlers: { 'blogger-ping': function() {} } }); } }); </script>
Garawal (amud o' awal)
J'éjaculai un texte différent de tout ce que j'avais écrit jusque-là : un crépitement de balles et une montée de hurlements étouffés. Par ce texte je compris que je devais m'engager une fois pour toute dans la voie de la guérilla linguistique ! Mais je devins complètement fermé pour autrui.
[...]
Je n'écoutais plus que le rythme saccadé des choses................{dixit Khaïr-Eddine}
(*) graine de parole - blog à céder !

laseine FreeCompteur.com
jeudi, mars 16, 2006

3/16/2006 - Passé imparfait éblouissant ii (Eunuque toi-même)

Un homme vient de mourir, le vieux forgeron Aïssa Aït Yafelman. Avec lui meurt toute une époque. Que t'a-t-il légué en héritage ?

Une phrase qui se mêle au vacarme qui raisonne dans ta tête :
"Ici, nos ancêtres ont bâti une œuvre superbe. Une harmonie de tous les éléments. Une beauté. Un chef d’œuvre de grâce impossible à reproduire même en imagination".

Ni triste, ni heureux, froid, sans âme. Dehors, il neige toujours.

De ton fauteuil, du haut de ton septième étage et demi parisien … la blancheur des toits. Tu n'es pas chrétien mais tu voudrais sonder l’immaculée conception. Tu prends une photo, que la lumière barre de cannes d'aveugles, pour te livrer ce visible surpris avant tout regard, comme saisi de profil, visible épais où même l'air entre les choses est pris.

Tu te penches par la fenêtre par delà tes géraniums encore fleuris. Au sol la neige piétinée commence à être boueuse et vire au "maronâtre". En d'autres temps, tu aurais songé : "demain le givre et le silence à la compagne", ou encore "demain le verglas, les couches de glace luisantes sur les trottoirs, et dans les rues désertes, les joies de la glisse en milieu hostile, la patinoire pour troisième âge, la lenteur, les chutes, les boules de neiges perdues, les rires".
Mais dans ta tête, un brouhaha, tel celui du hammam un vendredi matin avant la prière, prend une amplitude interdite par toutes le juridictions urbaines sur les nuisances sonores.

Des chants polyphoniques corses arrivent à tes oreilles amplifiant le message matinal qui t’est écrit par ELLE : "Laseine, on tourne en rond sans origine, n'y a t-il pas eu un hier ? Viens t'asseoir avec moi au bord du monde et comptons les soleils ..."
Tu te demandes s'il est possible qu'un corps trouve sa limite à la limite d'un autre ?

D'autres questions te lacèrent les entrailles ...

Tu te demandes s'il est possible que ta chambre soit vide à ce point et pleine de menthe ?

D'autres souvenirs te hantent ...

Tu te souviens de ce matin du 1er mars 1970, avec un sens impitoyable du détail. C’était dans la paradisiaque vallée des Aït Yafelman, le départ de la belle Mammas qui t'avais désigné par ses piments, sur la banquette arrière de la Peugeot 404 rouge du vieil émigré à la moustache. Elle comprendra enfin la provenance du nom de ta première agence de com, "March First" que tu n'as jamais osé avouer.

Tu sais qui tu es à présent. Cependant tu es prêt à la réconciliation. Tu espères un brun de paix après la longue et vaine révolte.

Tu distingues dans ton vacarme intérieur la voix audible de ton ami Driss, qui a exactement l'âge de Aïssa Ait Yafelman : "Le puits, Laseine. Creuse un puits et descends à la recherche de l'eau. La lumière n'est pas à la surface, elle est au fond. Partout, où que tu sois, et même dans le désert, tu trouveras toujours de l'eau. Il suffit de creuser. Creuse, Laseine ! Creuse."

Aïssa est mort aujourd'hui. Ou peut-être hier. tu ne sais plus. Il est mort dans son lit, n'est-ce pas la plus belle des morts ? Tu n'as connu le plaisir d'un lit à toi qu'après ton bannissement de la vallée des Aït Yafelman, en arrivant en France. Il est devenu depuis le compagnon-complice de tes douleurs, de tes doutes, de tes extases et de tes excès.
Tu as lentement appris à ne pas écouter celles qui te disent ton lit est un "baisodrome". Tu leur as pardonné, elles ne savent pas ce qu'elles disent.

La nuit quand tu es seul, chose rare, tu parles à ton lit avec tendresse en te vautrant nu dessus. Tu étreints affectueusement ses bordures en bois. Tu lui consacre du temps. Tu voudrais y mourir, comme le prophète Mohamed, comme Nietzsche. La célèbre image de Marcel Proust sur son lit de mort porte la légende "Le Temps perdu se confond désormais avec l'éternité". Il faut croire que baiser comme mourir dans son lit sont des actes fondateurs d'éternité.

Tu as creusé ta vie depuis. Tu as exploré ton corps jusqu'à l'écorcher.
Certains tatouages restent indélébiles.
Tu as creusé ta vie d'avant Namoussya (le lit) en vain. Que sécheresse !

Il te faudra aller plus profond. Creuse Laseine ! Creuse. Remonte avant ta naissance s'il le faut.
Ne te contente pas d'ouvrir les portes et d'accompagner ceux qui veulent bien retourner sur les lieux magiques de leur enfance, pour écouter encore une fois "A chta tata tata", le chant pour faire tomber la pluie dont on a oublié la danse. Creuse ! Sur les plaies ... et là où gisent les douleurs. Ne te contente pas de baiser avec la terre, plante ton poignard pour faire surgir du ventre de la terre ta bourrelle : Aïcha Qandicha, et faire jaillir de ses ruines ta future ancienne princesse.

Tu t'agites dans ta chambre, tu sais qu'une dure épreuve t'attend, mais tu sais plus que jamais que l'eau retourne toujours à son niveau propre. Tu penses à ta grand-mère : "le ventre chante lorsqu’il est plein." Tu voudrais tant lui dire, si elle pouvait t’entendre là où elle est que NON. Que pour une fois NON. Que tu as enfin compris pourquoi le ventre est la source du chant.

Laisse aller ton crayon … laisse-le glisser sur la page … laisse tes doigts danser sur les touches du clavier … Laisse tes maux s’extirper.

C'était au printemps 1962. Ta mère Lla-Fadma était enceinte de toi. Elle avait déjà dix enfants. Des garçons. Ton père avait quitté la montagne pour travailler dans la mine de phosphates. Ils habitaient une petite maison de deux pièces. Une ligne de chemin de fer traversait un terrain vague et coupait la ville en deux. d'un côté la Médina surpeuplée par les familles des ouvriers mineurs, de l'autre le village accueillant les villas des cadres et des résidants français.

Les architectes avaient pensé la séparation dans ses moindre détails à deux exceptions près : le cynodrome pour sloughis (lévriers), plutôt fréquenté par des gens du village endimanchés se trouvait dans la Médina et la cantine à vin, qui avait plutôt des ouvriers comme clients se trouvait côté village. Pour le reste la médina se prévalait d'un souk, un hammam, le cimetière musulman, une mosquée et une école primaire. Le village était délimité par l'Eglise à l'est et le cimetière chrétien à l'ouest avec une large allée rectiligne bordée de palmiers longeant la voie ferrée et allant de l'église au cimetière (N'est-ce pas garamud et Larbi ?).
Un aérodrome militaire, un lycée et la piscine des mines tracaient la frontière sud. Le long de l'allée principale, les cinéma Lux et Météore, les bars et les épiceries fines, la poste et la banque, le clubs des officiers et des ingénieurs. Au centre de tout cela, des villas avec un chien et sa niche dans le jardin et une plaque sur le portail indiquant en arabe, en berbère et en français, parfois même en roumain et en bulgare, "Attention chien méchant ! ".

Da-Hmad et Lla-Ijja venaient de la même tribut que tes parents mais habitaient au village. Da-Hmad disposait du certificat d’études primaires, joliement encadré et fièrement exhibé dans son salon. Il avait servi dans l'armée française en Indochine, ce qui lui assurait le grade de contre-maître (chef d'équipe) et une toute petite villa au village des pépinières.
Da-Hmad était stérile. Cela donnait à Lla-Ijja, comme qui dirait, des droits que n'avaient pas les autres femmes. Elle était la seule à se barder de maquillage avec ou sans occasion. Swak, Khoul, Henné, Farouja etc. Elle était tolérée dans les salons des hommes, où se racontaient les blagues les plus cochonnes.

C'était une femme qui en avait ! Cette expression lui va à merveille.
une femme qui en avait ! et à qui tout le monde attribuait la paternité (la maternité si vous préférez) de la blague qu'elle aime à raconter :
Un homme triste de n’avoir rien à léguer à ses nombreux enfants fit venir son aîné. Il lui demanda d’affuter la commeyya, son poignard à deux tranchants, qu’il avait hérité de son propre père et qu’il n’avait jamais cessé de porter en sangle ou en tour du cou. Quant ce fut fait, Il baissa son froc puis en lui présentant ses couilles, lui intima l’ordre de les couper, de les conserver dans une préparation de formole et de les mettre bien en vue dans la maison :
- Bach maygolouch khoutek, bouna ma khlla lina ta kalwa (pour que personne ne puisse dire que je n’en avais pas ! ceci n'est pas une traduction mais une localisation.)

Aïssa Aït Yafelman vient de disparaître. Que t'a-t-il légué en héritage ?



Prochain épisode : Passé imparfait éblouissant iii (l’ogresse)

| Permanent Link


3/16/2006 - Le paquebot de Numidie (suite et fin)

Zapata avait lu ça dans un journal. C’était même, croyait-il, mais il n’en était plus sûr, un chef d’Etat arabe qui avait avancé ce propos. La question de Zapata plongea le Danois dans l’hilarité. Mais voyant l’air renfrogné de son amant, il dit, conciliant : Après tout, pourquoi pas ? Il y a même des savants érudits qui sont allés jusqu’à mettre l’existence de Shakespear en doute. En tout cas s’il était arabe… Le Danois s’interrompit, fixant son regard sur Zapata et souriant malicieusement.
- En tout cas quoi ? demanda celui-ci l’air mauvais
- il ne devait pas baiser aussi tragiquement que toi.

Le Danois continua pensivement, amoureusement, en lui-même : « Toi mon Othello ! » Il frissonna. « Mon destin serait-il d’être ta Desdémone ? », continua-t-il, en s’adressant en lui-même à son brutal amant. Mais une réflexion prosaïque et soudaine de ce dernier – quelque chose comme : « j’ai envie de m’acheter des botillons en cuir », ou bien : « T’as de l’ombre solaire ? » - tira le Danois de sa rêverie voluptueusement inquiète. Et puis, ce n’était pour discuter de l’œuvre de Shakespeare qu’il avait volé, cet été, d’un royaume à un autre.

Et voici que de nouveau, exactement une année après, fidèle comme un oiseau migrateur, il était revenu au nid où il avait trouvé chaleur et amour. Pour l’instant, le nid était ce café d’aéroport : la Porte du Ciel (c’est son nom), ou il était attablé.
Il guettait la porte d’entrée par laquelle, d’un moment à l’autre, devait apparaître l’ange numide, son Othello, son amour : Zapa. (zabba)
Car dès le premier jour de leur rencontre, le Danois avait appelé son amant par le dimunituf de son surnom.Et Zapata lui avait appris comment épeler le diminutuf, comment en labialiser et bi-labialiser la fin, avec des lèvres de plus en plus amoureuses, encore et sans lassitude, afin d’en connaître toutes les intonations, toutes les fléxions, tous les jaillissements.

Le Danois était assis seul à une table. Pour ne pas tomber dans le désarroi, comme en une action de grâce, il psalmodiait le nom de son amant.Lettre pa r lettre, syllabe par syllabe, anneau par anneau, le nom sortait de sa bouche sans bruit, s’enroulait, serpent invisible, sur son cou, son torse, continuait de descendre en s’enroulant, pendant que le Danois fixait la porte, figé sur place comme une proie fascinée par un prédateur implacable, qu’il était le seul à voir.

Le Danois attendait.


Mohamed Leftah, 1992.

| Permanent Link

mercredi, mars 08, 2006

3/08/2006 - Le paquebot de Numidie : Retour sur une entente caricaturale

Numide adj. et n. - 1580 ; de Numidie (lat. Numidia) ancien nom d'une région du nord de l'Afrique. Esclave numide. Le Petit Robert


le paquebot casaC'est bien pour accueillir le Danois que Zapata est allé à l'aéroport.
Il ne l'a confié à personne, car c’est une rencontre décisive à laquelle il va, une rencontre qui pourrait bouleverser complètement son destin. Le Danois lui a en effet promis qu’il allait lui apporter un certificat de travail et d’hébergement au Danemark. Ceci permettra enfin à Zapata d’obtenir ce document miraculeux qui hante l’imagination de toute la jeunesse de Numidie : le passe.
Le passe n’est pas l’abréviation de passe-partout, mais il en joue le rôle. Il ouvre une porte immense, celle, ni plus ni moins, de tous les pays de la terre. Grâce à lui peut se réaliser ce rêve de Colette, qui écrivait si joliment : «les frontières sont des fleurs». Le passe, c’est l’abréviation de passeport.

Quand, lors de leur rencontre l’an passé, dans la petite et célèbre ville balnéaire du Sud, Zapata avait prononcé le mot magique, le Danois avait été aux anges. A brûle-pourpoint, il avait déclaré à Zapata – sa première déclaration d’amour :
- Je te ferai la passe ; toutes les passes que tu voudras, mon chéri.
C’est grâce à ce jeu de mots, volontaire, que Zapata fut confirmé dans son intuition. Le feu que lui avait demandé le Danois n’était qu’un prétexte, l’étincelle dont il espérait le déclenchement du grand incendie qu’il était venu chercher dans la brûlante terre de numidie. Le français incertain, souvent cocasse, du Danois, avait amusé Zapata qui avait été au lycée jusqu’à la fin du premier cycle. Mais les mots amoureux qu’utilisait le Danois, surtout quand Zapata le sellait, avaient été une révélation pour ce dernier. Jamais il n’aurait cru qu’un pédéraste –et il en avait connu des pédérastes indigènes et étrangers-, pût être à ce point amoureux et soumis. Jusqu’à l’adoration, jusqu’à l’abjection. Quand il lui a dit en lui tirant la joue : «Mais tu es pire qu’une kahba», et qu’il lui eut expliqué le sens –putassier– de ce mot, le Danois, au comble du ravissement, avait embrassé le creux du poignet de Zapata, et murmuré :
- Chéri, je serai ta kahba pour toujours ! si tu le veux.
Sur ce, sans réfléchir, Zapata avait giflé à toute volée le Danois. La voix de ce dernier, comme celle de tous les chrétiens, n’arrivait pas à pharyngaliser correctement la consonne qui scinde, à sa moitié exacte, le mot putassier : kahba. (Ne pouvant expliquer de manière scientifique et rigoureuse la disposition de la glotte, des cordes vocales, de la langue que l’éjection de cette pharyngale exige, je me contenterai d’indiquer, pour en donner une idée, que certaines femmes numides, au moment suprême de l’orgasme, illustrent à merveille cette éjection.) Ce qui fait que la déclaration d’amour éperdue du Danois doit être transcrite de la manière suivante :
- Chéri, je serai ta kaba pour toujours ! si tu le veux.
Or, cette phrase, pour l’oreille d’un musulman, fût-il un mac, est d’une tonalité blasphématoire inouïe. C’était comme si le Danois, chrétien avait dit au musulman Zapata :
- Chéri, je serai ta Mecque pour toujours ! si...

(J’écris «blasphématoire inouï». Mais à l’instant même, me revient à l’esprit la formulation d’une ordalie, aussi terrible et blasphématoire, sinon plus, qui conduit cette fois un musulman brusquement revenu à la Jahiliya –la barbarie antéislamique-, à prendre justement à témoin la kaaba, la Mecque, et à dire qu’il y «baiserait sa mère», s’il ne faisait pas ce qu’il jurait. Ceci laisse perplexe et méditatif sur la gravité de la spoliation, la profondeur de l’insulte qui ont conduit, pour la première fois, un numide désespéré à donner cette terrible formulation à l’ordalie.)

Le Danois ne comprit pas la raison de la violence subite et sauvage de son amant, mais allait de ravissement en ravissement. C’était la première fois qu’il avait été aimé par Zapata, mais il n’osait pas encore lui révéler tous les sentiers du jardin de supplices, et de délices, où il voulait que son amant le conduise. Et voici que celui-ci, de lui-même, prenait l’initiative. Zapata ne comprit pas lorsque le Danois, d’une voix haletante, les yeux hagards, lui demanda :
- Encore ! Encore mon chéri.
Les gifles plurent en zébrures de feu sur les joues roses, imperceptiblement veinées de bleu, qui ne tardèrent pas à prendre une teinte cramoisie. Une gifle plus violente encore envoya le Danois sur le tapis où, allongé de tout son long, nu comme un ver, boxeuse mise K.O. et heureuse de l’être, il supplia :
- Avec la ceinture maintenant ! Avec la ceinture.

La voix de l’athlète rose affalé était aiguë, impérative. Zapata n’avait jamais vu ces films pornographiques, enregistrés sur des cassettes qui se vendaient sous le manteau, et dont une partie de la bourgeoisie numide commençait à faire ses délices. Et voilà qu’il se délectait de luxure, non en vidéo, mais en chair et en os. Seulement, dans la chair rose et mauve qui était affalée devant lui sur le tapis –un tapis berbère aux tons sévères, aux motifs géométriques nets et épurés– de la somptueuse chambre d’hôtel, ne se devinait pas le moindre soupçon d’os, de vertèbres ou d’articulation. C’était une boule de viande pure, enflammée et électrisée par le désir.

Envahi par le dégoût, Zapata se rappela brusquement une anecdote.
Une petite fille se présente chez le boucher du quartier et lui dit :
- Ma mère vous demande de me découper une partie de mouton où il n’y a ni os, ni graisse, ni nerfs.
Le boucher se gratte la tête, réfléchis un moment, puis répond :
- Ma petite fille, tu diras à ta maman que le boucher du quartier ne vend pas d’anus.
C’était Musc de la nuit qui avait raconté cette anecdote à Zapata, qui avait été secoué par le fou rire. Puis, pelotant la croupe de Musc de la nuit (pendant que Zapata est à ces plaisants souvenirs, le Danois est agenouillé, sa croupe se trémoussant d’imaptience), il lui avait demandé, sur un ton mi-figue mi-raisin :
- Et toi, Musc de la nuit, tu en vends de cette marchandise ?
Comme une tigresse, Musc de la nuit avait bondi, et approchant ses doigts aux longs ongles effilés du visage sage de son souteneur, avait répondu :
- Pour ça, tu sais ce que j’en pense.

Les filles-cicatrices en effet fixaient à leur déchéance une limite intangible, tenaient à un honneur que personne, y compris leurs macs, ne pouvait bafouer impunément. Pour elles, être sodomisées était pire que la mort. Celles qui transgressaient ce tabou étaient condamnées au mépris le plus total. C’était des «pourries».

Zapata n’ôta pas sa ceinture, lourde, cloutée, couleur de nuit, évoquant plus le ceinturon et la cravache qu’une inoffensive ceinture, comme le lui demandait le Danois à genoux. Il vient derrière celui-ci, mit ses genoux à terre, et le buste droit, les cuisses en équerre avec les jambes, il commença à lui gifler les fesses, de gauche à droite, de droite à gauche. Il pensa au geste des infirmières, précis, rapide, lorsqu’elles donnent une tape sur la fesse du patient, suivie immédiatement de l’injection de la piqûre. «Je vais piquer cette pédale», pensa Zapata, et instantanément son membre se mit en érection. Il laissa glisser son froc sur ses cuisses musclées, qu’il écarta. Le dard, énorme, comme doué d’une vie autonome, fusa et alla sauter sur la croupe proche et offerte, qu’il commença à harponner fougueusement. Le Danois avait senti la détente et, accentuant la courbure de son dos, posant son front contre le tapis, ramena ses deux mains en arrière, chacune d’elles écartant dans un mouvement synchronisé et sans faute, la fesse correspondante. Le visage enfoui dans le tapis, il hoqueta alors :
- Entre ! Entre, chéri, s’il te plaît.

Zapata, prenant au contraire tout son temps, visa l’œil plissé, morne et provocateur : «le borgne». On utilise indifféremment cette métaphore pour le pénis et l’anus. Mais pour ce dernier, qui est féminin en langue numide, on dit : la borgne. D’autre part, ce terme de borgne a une connotation morale référant à l’interdit. Cette double acception du terme a permis aux théologiens-anatomistes musulmans de donner à la différence des sexes, une formulation métaphorique lapidaire. Pour eux, si l’homme est doté de deux borgnes (âwra), le corps de la femme est entièrement borgne ; traduisez : intégralement érogène. Et interdit à quiconque hormis son époux.

Zapata roula métaphoriquement sa langue dans sa bouche, puis envoya deux crachats lourds, visqueux et blanchâtres, vers l’œil plissé qui le narguait en silence ; ensuite, il passa ses mains sous les hanches du Danois, et l’attira doucement vers lui, en se laissant guider par le sens tactile des deux borgnes, qui se cherchaient avidement dans la chaude nuit primitive. Sentant que le dard était la seule partie vivante et frémissante du corps de son amant, coulé comme une statue de bronze au portail de son corps, le Danois comprit que c’était à lui de prendre l’initiative. Reculant alors légèrement sa croupe, les fesses toujours écartées par les mains, il se mit à onduler doucement, savamment, jusqu’à ce que l’orifice -son stigmate– vînt à coïncider, à s’ajuster parfaitement à la tête ophidienne. Si Musc de la nuit avait vu la manière dont cette croupe de haut-savoir, béante, vorace, patiente dans son avidité et sûre d’elle-même, avait vibré et ondulé pour atteindre son objectif, elle aurait été au comble de l’étonnement, et aurait sûrement sifflé, admirative :
- Comme elle amande celle-là ! (katlouwez)

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, si Musc de la nuit et les autres filles méprisaient totalement celles d’entre elles qui se faisaient sodomiser, elles étaient tout indulgence pour les hommes pédérastes. Même si elles affichaient devant eux leur mépris, leur lançaient à la première occasion, comme un crachat, l’insulte : «Zamel», pédé, elles éprouvaient au fond de leur cœur une bizarre indulgence pour ces grands mâles dont le bonheur ne fleurissait qu’au contact de la terre avec leur ventre, ou avec leurs genoux tremblants, quand ils se mettent dans une posture de prière fervente et pleine d’humilité (d’humiliation, pour leurs juges).

Quand la calotte s’engouffra dans la demi-sphère aussi brûlante qu’elle, le Danois émit un bref gémissement et relâchat enfin ses fesses, qui se refermèrent comme les deux pétales sanglants d’une fleur de nuit carnivore. Accentuant alors le recul de sa croupe, ses mains maintenant croisées et posées à plat sur le tapis, il s’enfila méthodiquement l’ophidien numide, dans la sombre, bienveillante et chaude cavité de son corps. Des gouttes de sueur perlant à son front comme une tiède rosée, il n’était plus, lui le fils des fjords, qu’une pelote de laine chaude que filait une quenouille lourde, antique et apaisante. Quand il sentit la jouissance approcher, pour maîtriser le tremblement qui s’était emparé de ses genoux et retarder l’effondrement –dans le bonheur-, il fit reculer de nouveau sa croupe mais cette fois jusqu’à l’extrême limite, glissa une main tremblante le long de son ventre, puis de son sillon labouré. La main constata que le soc était au plus profond du labour. Elle toucha les magnifiques boules, seules survivantes à l’engloutissement, boules de gui accrochées à un chêne dont il sentit le tremblement. Au même moment, le Danois, déjà comblé, sentit la sève chaude l’irriguer, monter en lui comme un baume, et il cria son bonheur en s’affalant.

Mais Zapata qui tenait, comme à un point d’honneur, de jouir toujours deux fois de suite quand il faisait l’amour, gifla de nouveau le Danois sur les deux joues, puis se coula de tout son long sur lui, le tenant toujours sellé. Sans forces, la bouche ouverte comme un poisson qu’on a sorti de l’eau, le Danois haletait, au bord de l’étouffement.
- Kahba ! Pute ! Kahba !

La langue, la langue bifide de Zapata, après son sexe, dégorgeait, comme un autre sperme, le venin de l’insulte sur le corps rassasié du Danois. Furieux, bavant, Zapata lui passa de nouveau ses mains sous les hanches, et lui intima sans mots l’ordre de soulever légèrement, et uniquement, sa croupe. Le Danois s’exécuta. Alors, mettant ses paumes à plat sur le tapis, les bras tendus, Zapata, comme s’il effectuait des mouvements gymniques, commença à s’élever et à s’abaisser rythmiquement, lentement, savourant chaque mouvement, dans tous ses prolongements, en ses plus infimes ténuités.

Il tenait à jouir deux fois de suite, non seulement pour prouver sa virilité aux filles-fleurs et aux tantes, mais parce que pour cet hédoniste (pessimiste ?), c’était durant l’élaboration du second orgasme –qui n’était plus déferlement aveugle, mais jouissance consciente- que la sexualité, dont il n’était plus que l’instrument docile, parvenait à son état le plus pur, prenait conscience d’elle-même, de sa violence, de son indifférence souveraine au bien et au mal, de sa splendeur. Et au sommet de sa gloire, de son échec final terrifiant.

Ce jour-là, pour la première fois de sa vie de pédéraste, le Danois jouit lui aussi deux fois de suite, sans cesser d’être sellé. Il tomba amoureux de Zapata, irrémédiablement, lui promet qu’il ferait tout le nécessaire pour l’aider à obtenir son passe –le vrai-, et le faire venir habiter au Danemark. «En ménage même si tu veux», avait-il ajouté.
Zapata, bien sûr, n’en revenait pas.
- Mais ce Danemark, ton pays, je ne savais pas que c’était une République pourrie à ce point.
Le Danois avait rit et expliqué à Zapata que le Danemark n’était pas une république, mais un royaume. Il avait ajouté :
- Et puis, tu sais, avant toi Hamlet avait dit la même chose ! Mais ce n’est pas vrai. Mon pays est un très beau pays.
Zapata ne savait pas qui était Hamlet, mais quand le Danois lui eut expliqué qu’il était le héros d’une pièce de Shakespeare, il s’était écrié :
- Je connais le nom de Shakespeare. Au lycée, le professeur de français nous en a parlé, mais nous n’avons étudié aucune de ses œuvres.
Puis après un moment d’hésitation, Zapata avait ajouté :
- Est-ce vrai que Shakespeare était un arabe ?
à suivre …

| Permanent Link