- En tout cas quoi ? demanda celui-ci l’air mauvais
- il ne devait pas baiser aussi tragiquement que toi.
Le Danois continua pensivement, amoureusement, en lui-même : « Toi mon Othello ! » Il frissonna. « Mon destin serait-il d’être ta Desdémone ? », continua-t-il, en s’adressant en lui-même à son brutal amant. Mais une réflexion prosaïque et soudaine de ce dernier – quelque chose comme : « j’ai envie de m’acheter des botillons en cuir », ou bien : « T’as de l’ombre solaire ? » - tira le Danois de sa rêverie voluptueusement inquiète. Et puis, ce n’était pour discuter de l’œuvre de Shakespeare qu’il avait volé, cet été, d’un royaume à un autre.
Et voici que de nouveau, exactement une année après, fidèle comme un oiseau migrateur, il était revenu au nid où il avait trouvé chaleur et amour. Pour l’instant, le nid était ce café d’aéroport : la Porte du Ciel (c’est son nom), ou il était attablé.
Il guettait la porte d’entrée par laquelle, d’un moment à l’autre, devait apparaître l’ange numide, son Othello, son amour : Zapa. (zabba)
Car dès le premier jour de leur rencontre, le Danois avait appelé son amant par le dimunituf de son surnom.Et Zapata lui avait appris comment épeler le diminutuf, comment en labialiser et bi-labialiser la fin, avec des lèvres de plus en plus amoureuses, encore et sans lassitude, afin d’en connaître toutes les intonations, toutes les fléxions, tous les jaillissements.
Le Danois était assis seul à une table. Pour ne pas tomber dans le désarroi, comme en une action de grâce, il psalmodiait le nom de son amant.Lettre pa r lettre, syllabe par syllabe, anneau par anneau, le nom sortait de sa bouche sans bruit, s’enroulait, serpent invisible, sur son cou, son torse, continuait de descendre en s’enroulant, pendant que le Danois fixait la porte, figé sur place comme une proie fascinée par un prédateur implacable, qu’il était le seul à voir.
Le Danois attendait.
Mohamed Leftah, 1992.
Najlae ...
Vraiment beau,ce recit. J'adore. Dis moi,laseine,ton ami a publie d'autres recits?
xoxo
A bientot