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Garawal (amud o' awal)
J'éjaculai un texte différent de tout ce que j'avais écrit jusque-là : un crépitement de balles et une montée de hurlements étouffés. Par ce texte je compris que je devais m'engager une fois pour toute dans la voie de la guérilla linguistique ! Mais je devins complètement fermé pour autrui.
[...]
Je n'écoutais plus que le rythme saccadé des choses................{dixit Khaïr-Eddine}
(*) graine de parole - blog à céder !

laseine FreeCompteur.com
dimanche, octobre 30, 2005

10/30/2005 - Passé imparfait éblouissant

Le ciel était une mamelle de vache hollandaise gonflée, qui pendait très bas, prometteuse de pluies abondantes. Ces pluies d’octobre auguraient d’une bonne récolte.
Tes hommes avaient garé le 4x4 contre la falaise et installaient leurs instruments de mesures topographiques et leurs appareils audio-visuels. Le calligraphe dessinait des w, des g et des o sur des polaroïds du flanc de montagne saisis sur le vif. Il dessinait des formes qui lui ressemblaient, à moins qu’il ne ressemblât aux formes qu’il dessinait.
L’homme au costume Prince de Galle, financier du projet, se frottait les mains et répétait inlassablement : - révolutionnaire, sublime, grand.
Toi, tu ne pensais qu’à te venger de cette région maudite qui t’avait donné et repris tes amours et tes rêves. Tu connaissais assez cette montagne pour la haïr. Et ta haine était à la mesure de ton amour … sans limite, comme ces lieux.
Tu savais mieux que toi-même que rien ne pouvait arrêter ton désir de vengeance, qui t’avait donné la force de conviction pour obtenir de Google le prix de sept années de récolte en échange de sa publicité sur le flanc de cette montagne. Tu avais invoqué la parfaite visibilité depuis l’autoroute longeant le fleuve, depuis le port et depuis l’aéroport à quelques lieues de là. Tu avais même trouvé des arguments éthiques, humanitaires, de développement durable, de commerce équitable, écologiques, pratiques et même sentimentaux. Une publicité géante qui déserterait la ville, usée et abusée, pour les champs. Une publicité écologique, calligraphiée sur le flanc de montagne avec une tendeuse sur du gazon.

Le vieux forgeron Aïssa Aït Yafelman se dirigeait lentement vers toi. On lui devinait un sourire au bout des lèvres. Il avait l’air de t’avoir pardonné. Les pauvres pardonnent tout sauf l’échec.

Le vieux : - Merhba, tamazight (bienvenue, pays)
Toi : - Bonjour, pays. Qu’est-ce qui vous amène ?
Le vieux – J’ai appris des choses, pays.

Les souvenirs te submergèrent. Son verdict à ton encontre, te condamna jadis à rester avec tes souvenirs comme seule compagnie, te fut longtemps insupportable, harcelant, lancinant comme un mal aux dents, comme une piqûre de scorpion. Il sonnait dans ta tête, distinct, comme s’il venait d’être prononcé à l’instant : « Mohand Aït Yafelman, tu es ici chez toi mais tu n’es plus des nôtres »

Comment tant de Bien et de Mal pouvaient-ils cohabiter dans une seule et même personne ? Ce vieux forgeron t’avait beaucoup pris mais il t’avait énormément donné aussi. Ses soins (il était sorcier à l’occasion) te firent retrouver lentement la santé suite à une piqûre de scorpion. Tu avais alors à peine dix ans. Ses décoctions d'herbes drainèrent le venin de ton corps en y laissant un peu pour te défendre contre toute nouvelle piqûre.
Tu ne craignais plus les scorpions et tu exhibais fièrement tes cicatrices sur les bras et les mains à tes clients potentiels : des hippies qui avaient retrouvé de la spiritualité dans cette paradise valley et gagnaient un peu d'argent en revendant le venin aux laboratoires pharmaceutiques et des artisans des plaines qui plastifiaient les scorpions dans des porte-clefs souvenirs pour touristes pressés. Ta technique était bien rodée et tu la gardais jalousement. Tu t’approchais du scorpion. Avec ton bras tu répétais des mouvements circulaires au dessus de sa tête jusqu’à ce qu’il finisse, désorienté, par répéter à son tour ces mouvements … C’est à ce moment que l’autre bras intervenait, implacable. Ton autre main le saisissait par surprise par la queue et le poussait dans la boîte d’allumette vide préparée à cet effet.

Les souvenirs appelèrent les souvenirs sans logique apparente.

Tu étais sur le point d’atteindre ta maturité. Tâaza, la vieille fille du village désespérait de trouver un mari. Elle devait aller sur ses vingt printemps. Elle était trop jolie pour être fidèle, pensaient les hommes. Personne n’en voulait comme épouse.
Elle avait décidé de te prendre dans ses filets. Son stratagème était sans faille. Son complot était en marche et rien ne pouvait l’arrêter. Elle avait déchiré sa robe au niveau de la poitrine et la portait ainsi sous son Melhef depuis quelques jours. Elle te traquait et guettait le bon moment.
Rêveur, tu contemplais une fleur de ruine, aussi solitaire que toi, sur le rocher de Anrar. Les femmes du village revenaient de la forêt de thuya, les dos courbes, chargées de racines qui servaient à la cuisson des galettes d’orge dans la Tafanrout. Elles se faisaient affûter leurs machettes par le vieux Aïssa, perché sur un rocher d’où la vue était plongeante sur Anrar.
Tâaza déclencha son plan : elle laissa tomber son Melhef, se jeta sur toi et t’étreignit en poussant des cris et des gémissements de jouissance. Tu t’extrayas de son emprise et sans réfléchir, tu disparus dans l’oliveraie. Les femmes accoururent et ramenèrent Tâaza dans la maison de son père. Si Aïssa alla dare-dare convoquer une assemblée des villageois sous le noyer près de la mosquée.
Des cimes d’un figuier, tu observais à présent le silence de plomb, entrecoupé de chuchotements et de messes basses. Cela dura un long moment, une éternité … avant que si Aïssa ne brise le silence :
- Mes frères ! Nous sommes à moins d’une demi-lune des moissons. Dieu nous a couvert de baraka et de bienfaits. La twisa s’annonce obscure. Au nom de notre ancêtre commun, Sidi Ali Aït Yafelman, les mains habiles qui ont joliment assemblé les innombrables nœuds de ce tapis peuvent les défaire.
- Honneur à Sidi Ali Aït Yafelman, renchérit le père de Tâaza. Il soupira avant d’ajouter : si on nous demande la main belle et habile de notre fille, Dieu aura pardonné ce qui fût et Si Aïssa aura fixé la dot.
- Honneur à Sidi Ali Aït Yafelman et paix à son âme ! répondit ton père, acculé. La dot de Si Aïssa sera la nôtre et la nuit sacrée du dernier jour des moissons sera celle des noces.
Ils lirent la khatima à voix mi-basse avant de vaquer, sereins, aux préparatifs des moissons et des fêtes. Ton sort était scellé. La suite n’était plus qu’une somme de détails que les femmes du village allaient s’empresser de régler.

A présent c’était la belle Mammas qui t’essorait la mémoire.
Les jeux de séductions chez les Aït Yafelman étaient autorisés pendant l’adolescence mais bien codifiés et circonscrits. Ils avaient lieu autour de la source du village avant le coucher du soleil. Chaque fille plantait son pied de piments et en prenait grand soin. Les garçons observaient en se tenant à une distance respectueuse. Parfois, des joutes orales avaient lieu. Les textes parlaient toujours d’amour. Des mots polysémiques, enfantins, intuitifs et naïfs. Des séances de créativité où les Raïss-troubadours puisaient leur art et où les alliances matrimoniales, bien que téléguidées et largement encadrées par les familles, enfantaient l’amour.
Mammas t’avait désigné pour manger ses piments. C’était son défi pour démontrer ton courage et mériter son amour. Tu l’avais relevé au prix d’une grande souffrance. Depuis, cette femme, telle la nouvelle colonisation, occupait définitivement toutes tes pensées.

Le soir des noces avec Tâaza, Mammas occupa encore tes pensées. Tu ne sauras jamais si cette larme qu’elle versa lors de son départ précipité dans la grosse voiture de l’émigré fût pour toi ou pas.
Les hommes dansèrent Ahïdous toute la nuit sur la terrasse. Les femmes s’agglutinèrent derrière ta porte et te narguèrent de leurs chants pour avoir le drap maculé.
Au petit matin, Tâaza, folle de rage, sortit et annonça à la foule qu’elle était vierge intouchée et qu’elle fut offerte à un eunuque.

Après consultation des autres, le vieux forgeron prononça son verdict à ton égard :
« Mohand Aït Yafelman, tu es ici chez toi mais tu n’es plus des nôtres », annonçant ainsi du même coup la fin des festivités. Cela signifiait que tu ne pouvais plus prendre d’épouse ni posséder une maison ou des terres.
Les Aït Yafelman n’appréhendaient ni l’homosexualité ni l’impuissance. Quand leurs signes se révélaient chez un homme, celui-ci devenait tout simplement l’eunuque du village à l’image de l’idiot du village. Il était le bienvenu chez tout le monde. C’était même un honneur et un privilège pour un homme d’avoir l’eunuque dans le lit de sa femme. Celle-ci te conduisait sur la berge du fleuve, te lavait, te parait et te parfumait, puis vous reveniez à la maison vous ébattre à même le sol, sur une natte en osier, les pieds en l’air, en chantant des poèmes qui décrivaient la beauté des corps et la joie du plaisir charnel.

C’était la période de l’éblouissement, des amours purs, sans autre finalité que l’amour et sans possession ni jalousie. Jusqu'au jour où une femme possessive et jalouse se laissa engrosser par toi et te dénonça comme faux eunuque. Tu fus banni et tu partis vers l’Europe sur les traces de la seule femme que tu aies jamais aimée, Mammas.

Souvenirs, souvenirs … ils s’entremêlaient inextricablement dans ta petite tête.

Le vieux – Tu as fait quoi de tes trente ans d’absence, pays ?

Le film de tes années d’exil défila en accéléré :

Tu avais voulu être anthropologue. Des années de labeurs. Une monographie sur « le rapport des Aït Yafelman au temps et à la mort » en guise de thèse de doctorat, soutenue à la Sorbonne avec les félicitations du jury. Tu fis financer sa publication chez l’Harmattan. Quatre cents exemplaires dont une trentaine vendus. Une bonne moyenne. Tu étais sur le point d’obtenir ton poste de maître de conférences mais t’étais déjà lassé.

Tu t’es fait jardinier. Là, tu pouvais laisser libre cours à ton imagination exubérante.
Tes projets étaient souvent fous. Tes lieux improbables. Aucune considération, aucun réserve à leur égard ne t’arrêtaient. Tu aimais à dire : la nature est toujours plus forte que tous les raisonnements. Tes plantations finissaient toujours par proliférer. Elles affichaient leurs traumatismes urbains de manière inquiétante. Tes jardins déstabilisaient mais finissaient par démolir les certitudes, et par s’installer et séduire.
Tu parcourus des villes aux noms lointains et sérieux tels que Prague, Barcelone, Paris, Rome, Berlin ou Amsterdam. Aucune ne te semblait faite pour les amours immenses toi qui étais en permanence à l’affût du visage de Mammas. Partout où tu te rendais, tu rentrais dans une librairie et tu demandais un roman d’amour bien triste, avec des souffrances terribles et un happy end … Ta part de superstition … T a manière de juguler le hasard.

Tu t’es encore lassé et tu t’es mis à la photographie.
A quoi bon photographier ce qui est beau ou photogénique ? C’est un plagiat facile et inutile. La copie n’effleure jamais la beauté de l’original. Il te fallait l’impossible. Des objets non photographiables. Des points de vue non praticables. Tu voulais rendre beau ce qui ne l’était pas déjà, sinon rien.
Tu avais réussi plus ou moins à en vivre. Tu acceptais des commandes purement alimentaires pour la publicité.

Le vieux – Yafelman est le nom de notre ancêtre commun, pays. Il signifie « l’eau est la source de tout » Mais il n’est pas facile de gagner son amitié !
Toi – Quelque chose me dit que vous n’êtes pas venu jusqu’ici me parler de notre nom, pays
Le vieux – J’entends ce qui se dit, pays. Et je suis venu te mettre en garde. Les Aït Yafelman ne capitulent jamais. Ecoute-moi pays.
Pendant ton absence, d’énormes machines ouvraient des routes le long du fleuve en avalant une bonne partie de nos terres. Les Aït Yafelman ont ravagé les arganiers, qui nourrissaient leurs chèvres, sans scrupule et sans autre but que l’enrichissement rapide, pour produire du charbon de bois. Quand ils en avaient fini avec les arganiers, ils se sont attaqués à la chose la plus sacrée pour nos ancêtres : les oliviers millénaires. Ils ont cultivé la banane naine sur les berges à la place des oliveraies.
Quand survint la première saison des pluies, l'eau charriait les bananiers et emportait la terre qui n’était plus liée par les racines des arbres. Le fleuve a perdu la raison et les crues se furent plus fréquentes et plus destructrices.
Les Aït Yafelman se sont retrouvés à lutter contre l’eau qui à chaque nouvelle averse, ou crue, emportait la terre. Eau, ennemi, destructrice en saison humide, rare en saison sèche. Ils savaient maintenant que les ancêtres avaient sacralisé l’olivier pour protéger la terre et par ricochet la tribu. Ils n’avaient pas pour autant capitulé. Ils défrichèrent le flanc de la montagne, creusèrent une source d’eau plus haut et aménagèrent des canaux d’irrigation. Ils poussèrent les barques qui servaient au commerce de la banane dans le fleuve et effacèrent leurs traces sur la plage.
Le vieux soupira
- Ecoute-moi bien, pays. Nous nous réconciliâmes difficilement avec l’eau, la terre et le ciel. Qu’es-tu venu faire ?
Toi – Un beau projet pour le pays, pays.
Le vieux – Je crains que ce ne soit le coup ultime, pays. Ecoute-moi une dernière fois, pays.
Le vieux maudit tous les misérables nuisibles qui ont profané cette œuvre millénaire. Il tendit sa canne horizontalement, fit lentement un tour sur lui-même, puis te lança avant de rebrousser chemin :
- Ici, nos ancêtres ont bâti une œuvre superbe. Une harmonie de tous les éléments. Une beauté. Un chef d’œuvre de grâce impossible à reproduire même en imagination.


Rome 27 octobre 2005


Anonymous Anonyme ...

Laseine, faut qu'on cause.
tu veux que je tombe du haut de mon précaire équilibre? Que tout ce que je fais semblant d'accepter, d'ignorer ou de je ne sais quoi me tombe dessus, écorche ma léthargie et me jette sur les routes à la recherche de ce qui me taraude?
Laseine, comment fais-tu pour faire ce que tu fais comme tu le fais?
toi aussi tu es un outofplace?
Tes nuits sont elles blanches comme les plages du sud de notre pays?
Ton espoir est-il un désert qui attend sa pluie depuis des millénaires.
Laseine, faut qu'on cause.  


Blogger Najlae ...

Akhirane. Beau texte.
La vie etait une mamelle de vache hollandaise. Etait.  


Blogger Loula la nomade ...

Salut Laseine,

Ai lu, ai bu, délices d'images et folie des sens. Les amours sacrifiés, l'environnement bradé, reste la sagesse au delà du rejet. Je vais continuer mes commentaires en mode courriel. Ai lu et relu, une mélancolie et se statut d'éternel étranger. Bref, je commente plus tard.
Big mwah  


Blogger GarAmud ...

Sah el Khir!
du plaisir et du texte.
"tu es ici chez toi mais tu n’es plus des nôtres " qui d'entre nous n'a pas été gratifié d'un regard disant plus ou moins la même chose une fois chez lui,après des années d'absence, dans la plaine et dans la montagne, et qui d'entre-nous n'a pas entendu un jour son cousin du bled lui dire "L’homme au costume Prince de Galle" était venu nous dire que la forêt d'à coté leur sera interdit à moins que vous ne votiez pour moi, car je suis le seul à pouvoir convaincre les autorités compétentes de vous laisser y paître vos brebis ... Mais bon!

encore une fois du plaisir et du texte !  


Anonymous Anonyme ...

here's the sun  


Anonymous Anonyme ...

Une gueule de bois ou des effets de sevrage ?
E tout cas cher laseine il est des regards qui ne trompent pas. Et quand j’ai vu ton regard j’ai deviné qu’il y a une histoire derrière ça. Un cheminement de vie exceptionnel et bouleversant qu’on ne peut pas cacher.
je me permets de faire mien ce récit.
Ah le passé imparfait ! Comme une ne blessure, une prison … une espérance déçue. J’en connais quelque chose.
Il est des regards qui attendent de se mettre à hurler.

Gabriel Garcia Marquez disait « Toujours se rappeler que le passé n’était que mensonge, que la mémoire ne comportait pas de chemins de retour, que tout printemps révolu était irrécupérable et que l’amour le plus fou, le plus persistant, n’était de toute manière qu’une vérité de passage ».  


Blogger Roberto Iza Valdés ...

Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.  


Blogger Houdac ...

Laseine, dis c'est un Ait Yafelman de ceux qui ont accompagné Tarek Ibnou Ziad sur l'autre rive pour une naissance à l'aube? :)
Larbi, arrête d'utiliser ma citation préférée...et donne de tes nouvelles!  


Anonymous Anonyme ...

bonne continuation sur ce blog  


Blogger laseine ...

Saâd ... faut qu'on cause.
d'outOfPlace à non-lieu et vice versa.

Je reprends ici des fraguements échangés avec Mitra la femme à la mitre (coiffure romaine qui vient de Perse comme Mitra) :

je me suis donné nom de fleuve
Parfois il charrie tout ce qu'il rencontre.
Parfois il va son long chemin sinueux et tranquille.
Mû par la seule loi de l'attraction universelle *.
Au bout du fleuve il y a la mer, la mère.
A l'autre bout, il y a la source, la mère.
Ses jours et ses nuits, il court d'une mère à l'autre.
Mais c'est bien en allant vers la mer qu'il est le plus fidèle à sa source.

Quant à l'équilibre ami, il ne peut être que précaire. L'équilibre stable n'est que vue de l'esprit, théorie mathématico-dynamique. Il rime avec immobilité. Le déséquilibre, lui, rime avec mouvement. déséquilibre harmonieux du cerceau tant qu'il tourne, tant qu'il avance.
A toi et Ayoub je vous offre cette animation funambule

Oui Saâd ... faut qu'on cause.


(*) loi de l'attraction universelle de Newton : Deux corps disposant d’une masse exercent une force d’attraction réciproque.
F = G · m · M / d² où G est une constante égale à 6,7259 • m³ • Kg / 10¹¹ • s²  


Blogger laseine ...

Najla'e
Akhirane. Je l'ai baclé. Il n y a même pas de chute. Mais il est dense et j'en suis content (prétentieux)

ربّما كان الزمن الحاضر والزمن الماضي
حاضرين في مستقبل الزمن
فالماضي يحتوي المستقبل
قال الطّائر
فالإنسان لا يستطيع احتمال كثير من الحقيقة
الزمن الماضي والزمن المستقبل
ما كان يمكن أن يكون وما كان
يشيران إلى ذات النهاية
والتي هي الحاضر دائماً

L'instant présent
 


Blogger laseine ...

Loula
Tu as tout dis en mode courriel. Merci à toi.
Un mwah grande  


Blogger laseine ...

GarAmud
Tu es ici chez toi et tu es à jamais des nôtres
Encore une fois Tout le plaisir est à moi.  


Blogger laseine ...

foth
Welcome Mister De la Fothp De la Seine Du Rell N(et j'en passe) Moriarty
Trinquons à nos femmes, à nos chevaux et à ceux qui les montent ! comme dirait le grand couillon  


Blogger laseine ...

Larbi ...
On reparlera de tout ça avant la gueule de bois qui s'annonce jeudi
Tu sais que ce texte a été inspiré par un texte intitulé Le Jardin du Monde qui t'est adressée pas Saâd.
J'aime ton "Il est des regards qui attendent de se mettre à hurler." ainsi que ta citation de Gabriel Garcia Marquez.

à jeudi Larbi  


Blogger laseine ...

Merci Roberto Iza Valdes.
Si j'ai bien compris, tu es cubain et tu es arrivé ici par google en cherchant des voitures et des objets d'art cubains. Dans tous les cas Bienvenue  


Blogger laseine ...

Hache ...
Mon intention était de rendre hommage au vieux de "Enquête au pays". Je n'ai pas "Naissance à l'aube" sous la main, mais si c'est le cas, tant mieux. Vive le Maître Driss. Que Dieu nous le garde encore un peu.  


Blogger laseine ...

Merci blogs marocains de votre visite individuellement collective.  


Anonymous Anonyme ...

L'écriture qui fleurit dans ton jardin est un "voyage" ,une plante qui fait les yeux émerveillés.
L'herbe folle des souvenirs chasse les esprits qui rendent fou...
Eblouie.  


Anonymous Anonyme ...

un texte magnifique; merci pour le plaisir ressenti, la nostalgie et la poésie. une évasion rare. Je trouve le nom des Ayt Yafelman très évocateur, empli d'un parfum que je chéris.

Il m'avait inspiré dans le temps, un conte, enfin une légende bien connue que j'ai renouvelée:

Mammas et Aylimas, une légende de l’Atlas.
http://www.20six.fr/atanane/nextEntries/1xscxnaq39xym.

Atanane  


Anonymous Anonyme ...

Je suis tout simplement séduite. Je n'avais aucune idée que vous écriviez ainsi. Des perles, des fleurs, le langage d'un Orient inconnu, un poème.  


Blogger laseine ...

>Leblase,
Content de te revoir par ici, mon site n'est effectivement pas optimisé pour firefox, ça viendra.
Merci blasounet

>Elle,
tu es la fleur sublime de mon jardin

>atanane,
bienvenue amazigh
J'ai lu ton conte. C'est très beau et très bien écrit.
Je connaissais une autre variante de cette légende.
Avant de passer au billet suivant, je publierai ton conte ici, si tu my autorises.

>Kate,
ô Kate. J'ai été séduit par Kate il y a bien longtemps. comme dirait atanane, "à l'époque où la terre rejoignait encore par endroits le ciel" comme chez leblase.
Bienvenue et reviens quand tu veux  


Blogger MajusC00L ...

Passé imparfait, texte plus que parfait ...  


Anonymous Anonyme ...

kate a écrit: " (... )le langage d'un Orient inconnu, un poème. "

juste une rectification: le conte en question ne se passe pas en Orient, même en extrême Occident, en Afrique du Nord. Merci de ne plus confondre.

Laseine a écrit: " bienvenue amazigh
J'ai lu ton conte. C'est très beau et très bien écrit.
Je connaissais une autre variante de cette légende.
Avant de passer au billet suivant, je publierai ton conte ici, si tu my autorises."

Merci Laseine, ton compliment me fait plaisir. Bien- sûr que je te permets de publier ce que tu désires et je te remercie.  


Anonymous Anonyme ...

Je viens voir s’il y a du nouveau. Y en a pas.
Mais relire ce billet me suffit largement.  


Anonymous Anonyme ...

Participez au sidaction Maroc 2005 du 2 au 16 décembre.
http://sidaction.blogspirit.com  


Blogger Roberto Iza Valdés ...

Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.  


Anonymous Anonyme ...

Bonjours, super blog au faite, j’ai besoin d’une «tififlt » pour faire «Abadaz ». Si elle est de bonne qualité, envoi-moi les graines.  


Anonymous Anonyme ...

Tu es passé ou...?  


Blogger laseine ...

DNM, Larbi, Tazart, Bsima
Merci Marci  


Anonymous Anonyme ...

Slt, on dit «fkas ifkak yana ak inan ar sbah ichak !» tu vraiment un bon soussi .
Asidi si tu veux pas me donner «ififle » « ador tdwart i korrannino », en plus nous pouvons pas les échanger car ils sont différents :
« tof bda tazart imimn iffifl ihran ».
Et pour « boutagant » peut-être il menace votre «tibhirt » et pas la nôtre qu’est sécurisée et ni «boutagant »ni même «bnadm» ne peuvent entrer sauf si nous le permettons.
Finalement toi et tes amis sont les bienvenus en mon blog.  


Blogger laseine ...

fkay ghar ikorrane adam fkayagh yana trit  


Anonymous Anonyme ...

laseine
faut vraiment arreter de fumer les poils pubiens, c'est mauvais pour le morale.
allez sans rancune
je te laisse l'adresse de mon blog
http://sadique.oldiblog.com/  


Anonymous Anonyme ...

sifd la drisa akn sifdh i9oran ,nki lififlt kadrih.  


Blogger laseine ...

Les Fiancés d'Imilchil

Il ne faut jamais changer les noms des lieux ; car ils portent toute la mémoire d’un peuple et le souvenir de ses ancêtres. En voici la preuve :



Mammas et Aylimas, une légende de l’Atlas.

Les histoires les plus belles sont souvent tristes et baignées des larmes de ceux qui les ont vécues. Elles sont contées de génération en génération et si la mémoire des hommes venait à les oublier, il en subsiste toujours quelque souvenir gardé dans le nom d’un rocher, d’une rivière, quelque patronyme obscur que l’on persiste à perpétuer de siècle en siècle, sans plus savoir, souvent, quelle en est l’origine.

En effet, les noms de lieux en Tamazgha, noms de villages ou de montagnes, appellation d’un lac ou d’une forêt, rappellent toujours quelque événement particulier qui s’y était déroulé, un fragment de l’histoire de tout un peuple, comme une trace sacrée destinée à être conservée à la perpétuité des temps, mémoire d’un pays et son âme profonde, que nul Amazigh ne songe à profaner.

Combien de fois des puissances conquérantes, de nouveaux princes venus d’ailleurs avaient tenté de gommer ces appellations indigènes si simples et si charmantes et de les remplacer par des noms qui évoquaient leurs propres civilisations, dans leur langues colonisatrices ! Aussitôt ces puissances usurpatrices disparues, quelque fût la durée de leurs présences, dussent - elles durer des siècles, les marques qu’elles avaient essayé d’imprimer dans les consciences et dans le pays sont retournées à l’oubli, et les désignations amazighs antiques et authentiques ont resurgi intactes, pour se perpétuer éternellement malgré les vicissitudes de l’Histoire !

Car les Imazighens, pour commémorer les événements marquants de leur histoire, n’érigeaient ni stèles ni monuments de pierre, ils savaient que tout autel, fut- il de marbre, était voué à la destruction ; ils préféraient inscrire les faits marquants dans leur langage, en nommant l’endroit où s’était déroulé l’incident par des mots simples et évocateurs, car ils considéraient leur langue impérissable, et seul écrin digne de leur mémoire.

C’est ainsi que dans les hauteurs de l’Atlas occidental, couverts à longueur d’années de forêts de cèdres majestueux et de chênes- lièges séculaires, dans une vaste plaine que dévalent des torrents tumultueux lors de la fonte des neiges, dans un endroit où règnent la lumière et la sérénité, il existe toujours deux merveilleux lacs, si vastes et si paisibles, étendus l’un à côté de l’autre, miroitant au soleil comme deux joyaux translucides d’un bleu turquoise splendide. On les appelle Isli et Tislit, c’est à dire « le fiancé » et « la fiancée », ou les deux amoureux, car ils étaient destinés à vivre ensemble, unis pour l’éternité. Et en effet ils allaient si bien ensemble ces deux lacs, tels deux géants étendus sur un lit de verdure, reliés entre eux par tout un entrelacs de ruisseaux clairs et allègres, comme s’ils désiraient se fondre perpétuellement l’un en l’autre, entremêlant les doigts de leurs mains dans une tendre étreinte.

Ces deux lacs providentiels où toutes les tribus de la région venaient abreuver et paître leurs troupeaux paisiblement n’avaient pas toujours existé là. Ils avaient surgi un jour brusquement, lors d’un grand cataclysme climatique, une inondation mémorable qui avait englouti les hautes plaines. Les eaux s’étaient retirées mais les deux lacs naquirent dans les creux du val, et ils subsistent encore jusqu’à nos jours...

Mais voici comment cette histoire avait débuté : il y avait là deux clans puissants, les Aït Braîm et les Aït Yazza, tous deux issus d’un même ancêtre et d’une même grande tribu, les Zayane, mais qu’un différend aux sujet des eaux plongeait en d’incessantes querelles, une inimitié transmise au fil des générations et qui avait maintes fois failli dégénérer en des batailles sanglantes. Comme les deux clans étaient de forces égales et qu’aucun ne désirait vraiment sombrer dans une guerre fratricide, ils concluaient des pactes de paix et continuaient à exploiter les mêmes prairies et les mêmes sources d’eau, sans jamais toutefois se fréquenter. Les bergers des deux familles évitaient de se rencontrer et si cela survenait, les derniers arrivés sur les lieux se retiraient et attendaient que les premiers soient partis, pour mener leurs bêtes se désaltérer. Il y avait bien quelques fois des cailloux qui volaient, des jurons que l’on entendait, parfois des moutons qui disparaissaient, mais les disputes cessaient brusquement avant que les hommes en arrivaient aux mains.

De plus, les sages des deux clans ne cessaient jamais leurs bons offices pour réconcilier leurs peuples, calmant les disputes et rendant équitablement la justice, acceptée par tous d’ailleurs, mais la haine persistait toujours, insidieuse et futile, malgré tout, comme un jeu malsain.

« Ces Aït Braîm, ce sont des voleurs ! Ils détournent l’eau des cours à leur profit ! », se disaient sans cesse les Aït Yazza depuis des décennies. « Ces Aït Yazza ne sont que des bandits ! Leurs troupeaux déciment les champs de pâturages et ils ne nous laissent rien, que des ronces et des cailloux ! », entendait - on souvent dire chez les Aït Braïm. La discorde entre les deux tribus sœurs était devenue si proverbiale que l’on disait dans la région au sujet des gens qui se détestaient : « Ils ne se réconcilieront jamais, ils sont comme les Aït Braïm et les Aït Yazza ! »

Un beau jour de printemps, en début d’après midi, l’air était doux et le ciel radieux, un groupe de jeunes hommes du clan des Aït Braîm revenaient à leur village à cheval, après une partie de chasse au faucon qui avait duré toute la matinée. Ils plaisantaient entre eux, caracolant sur la piste qui montait des steppes vers les hauts pâturages, là où se trouvaient leurs maisons. De part et d’autre de la route sinueuse s’étendait à perte de vue la prairie herbeuse, parsemée de fleurs de toutes les couleurs et dans l’air lumineux, toutes sortes d’insectes, des abeilles butinant les corolles des chardons et les lys des champs, des papillons bleu azur, jaune d’or ou orangés voletaient de ci, de là, au gré de la brise parfumée qui soufflait sur les hautes herbes d’un vert si tendre que parfois elles prenaient des reflets argentés, étincelant au soleil.

" Mon pauvre Aylimas ! Disait l’un des jeunes cavaliers à son ami. Ton faucon n’est pas encore au point ! il n’a capturé aucune perdrix et tu rentres encore bredouille, comme d’habitude ! Il n’est même pas fichu d’attraper une tourterelle ! Vends- le ! »
" Moque- toi, Mennad ! Tu verras, quand il sera adulte, il deviendra le chef des faucons, je te le promets ! », répondait Aylimas sans se vexer.
" Sans doute, mais tu devrais d’abord l’entraîner dans votre basse cour, mais fais quand même attention que les poules ne le déplument pas ! »

Et pendant qu’ils bavardaient ils virent au loin sur la piste sinueuse un nuage de poussière. Après un court instant ils aperçurent un convoi des Aït Yazza, leurs ennemis jurés, venir vers leur direction. C’était tout un groupe de familles, des hommes et des femmes, jeunes pour la plupart, à cheval ou à dos de mulets, attifés comme pour un jour de fête, qui se rendaient certainement à quelque lieu sacré pour une célébration religieuse. La région en effet était parsemée de lieux de pèlerinages où toutes les tribus se rendaient pour s’adonner à des cultes en l’honneur des divinités de la Nature, toujours propices à exaucer les vœux si on savait les honorer d’offrandes et les célébrer selon les rites adéquats. Et en effet, c’était la Tagourramte Massa, la druidesse des Aït Yazza qui précédait le cortège sur son petit âne gris nonchalant, harnaché de beaux cuirs ornés de verroteries et de tissus aux couleurs chatoyantes.

Les deux groupes se croisèrent, les jeunes hommes saluèrent respectueusement la Tagourramte qui ouvrait le convoi, car ils la connaissaient bien, malgré la mésentente qui régnait entre leurs deux clans ; elle se rendait effectivement souvent dans leur village pour rendre visite à son confrère Amghar, l’Agourram attitré des Aït Braîm. Puis ils s’arrêtèrent sur le bas côté de la route pour laisser passer la caravane, selon le code de circulation en usage dans le pays. Les hommes des deux clans s’ignorèrent superbement, bien entendu, évitant de se croiser du regard, sauf les enfants, bien sûr, ces petits anges innocents qui sourirent aux fauconniers, émerveillés par les rapaces qui se tenaient hiératiques sur les pommeaux de leurs selles, et les jeunes filles si curieuses de nature, qui profitèrent de cette rencontre inattendue et divertissante pour dévisager ces beaux jeunes hommes à l’allure si virile, fiers sur leurs superbes montures.

Aylimas, le jeune Aït Braîm au faucon maladroit promenait son regard distrait sur les voyageurs qui passaient, quand tout à coup il aperçut une merveilleuse créature qui le dévisageait ostensiblement. Il se ressaisit de sa rêverie et pendant un court instant il crut voir le visage ravissant d’un ange qui le scrutait. La jeune fille aux yeux splendides le fixait en effet avec intérêt et il crut un moment qu’elle lui souriait, un ris si léger, mais tellement exquis qu’il lui transperça l’âme et le ravit délicieusement. Il écarquilla les yeux, hébété, la bouche ouverte, il dévora la fille du regard et cette dernière posa sur lui ses prunelles de gazelle splendides et pénétra soudain son cœur comme un ouragan de douceur. Pendant que le convoi dévalait la pente les deux jeunes gens ne se quittèrent plus des yeux. Son cheval s’éloignait mais elle gardait son visage légèrement tourné vers lui, son regard noir posé comme une caresse si tendre et imperceptible qu’elle avait bien du mal à interrompre.

Le convoi passa et les jeunes cavaliers talonnèrent alors leurs montures pour reprendre leur route, sauf Aylimas qui resta encore un long moment absorbé à observer les Aït Yazza qui s’éloignaient.
" Hé ! Aylimas ! Tu comptes rester là encore longtemps ? » Lui lança un de ses camarades qui s’arrêta pour l’interpeller. Il se rendit compte de son absence, se ressaisit, agacé d’être obligé de revenir à la réalité, d’interrompre si brusquement le plus beau rêve de sa vie. Il se sentait radicalement transformé, bouleversé d’une manière si suave et si fulgurante que ses pensées étaient vides et désordonnées, un gouffre de feu et de délices s’ouvrait dans sa poitrine où son cœur éperdu battait comme un tambour de guerre, le sang lui montait jusqu’aux tempes, si fort qu’il produisait un sifflement strident et continu qu’il entendait résonner dans sa tête comme les trompettes du Jugement dernier. Il était devenu complètement amoureux, de la plante des pieds jusqu’à la pointe de ses cheveux, embrasé de cet incendie si froid et si ardent à la fois que plus rien ne pouvait éteindre désormais.

Il claqua malgré tout les rênes de son cheval et suivit ses amis à contre cœur, restant à l’arrière de la file, silencieux, pour se remettre de son émotion. Les jeunes gens parlaient bruyamment, ils riaient, se moquaient certainement de lui, mais il ne les écoutait pas, une seule idée le hantait, revoir absolument cette jeune fille, faire tout ce qu’il pouvait pour la retrouver, la connaître et lui parler, l’aimer, l’épouser, ne plus jamais la quitter, car c’était sûr, elle était l’unique, la pièce manquante et irremplaçable sans laquelle il ne pouvait tout simplement plus exister, ni goûter au charme suave de la vie.

" Hé !Aylal ! Tu sais qui étaient ces gens ? Je veux dire, tu sais à quel clan ils appartiennent ?
" Pour sûr ! Ce sont des Aît Yazza, leur village est tout là- haut, au pied du mont Wighrassen. Ils sont aussi fourbes que tous les autres de leur clan, ils croient que la montagne et les rivières sont leur propriété privée ! Leur chef Maddi est une tête de mule, un homme orgueilleux, arrogant et querelleur. Il vaut mieux ne pas se trouver sur son chemin, il trouve toujours un prétexte pour provoquer la bagarre ! »
" Mais pourquoi tu t’intéresses à cet bande de teigneux, Aylimas ? Lui demanda, intrigué, un de ses compagnons. As- tu l’intention d’épouser une de leurs filles ? » Aylimas se sentit touché et pour ne pas dévoiler ses sentiments il tenta une pirouette :
" Non, mais tu plaisantes ! Je trouvais seulement curieux qu’ils célèbrent un pèlerinage à cette époque. La Tagourramte portait la tunique des cérémonies, c’est pour ça. »
" Il n’y a rien d’étonnant à cela, Aylimas ! C’est le solstice du printemps et c’est le moment propice aux épousailles et à la fertilité. Toutes les jeunes filles désirant se marier et les femmes en mal d’enfants se rendent aux cascades d’Asif Agheddou pour y invoquer Tafroudite, la déesse de l’amour et de la fécondité. Ce sera d’ailleurs bientôt le tour des nôtres de s’y rendre ! »
" Aylimas, tu es aussi distrait que ton faucon à la cervelle d’alouette ! » Lui lança Udden, pour le provoquer encore et rire un bon coup à ses dépens. Mais Aylimas n’avait plus le cœur à plaisanter ni à soutenir une bagarre verbale, comme ils avaient l’habitude de le faire pour passer le temps. Non, son esprit était ailleurs, demeuré auprès de la jeune fille qui avait disparu depuis un moment déjà, là- bas, en contrebas de la piste. Il désirait ardemment donner un coup de bride à son cheval, galoper à sa suite et la retrouver.

Toute la soirée, à son retour chez lui, il ne pensait plus qu’à elle, d’ailleurs. Après avoir dîné avec son frère Idder et ses parents, il mit son abernous brun épais, car les soirées étaient encore fraîches malgré le retour du beau temps et il sortit retrouver ses amis, près de la dalle de la citerne commune, là où ils avaient l’habitude de se réunir pour bavarder. Une seule pensée le tracassait, c’était cette rivalité perpétuelle et sans raison entre les siens et les Aît Yazza. Pour la première fois il se rendait compte que cette lutte sempiternelle à laquelle il n’avait jamais prêté attention sérieusement devenait tout à coup un sérieux obstacle à son amour et à ses rêves d’épousailles, car il avait tout naturellement conçu le projet de demander la main de la jeune fille en mariage.

" Vous vous rendez compte ! Fit- il, mine de rien. Il y a tant de jeunes filles à marier chez les Aït Yazza et on n’a pas le droit de les aimer ! Et nos sœurs non plus n’ont pas le droit d’épouser leurs jeunes hommes ! » Comme il s’y attendait son amorce prit tout à coup. Ses amis se ressaisirent de leur torpeur et réagirent vivement à sa réflexion.
"Mais te rends- tu compte de ce que tu dis ? Quel est l’imbécile qui songerait à épouser une fille chez les Aît Yazza ? Autant rester vieux garçon que de s’acoquiner avec ces gens - là !
" Oui ! Je n’aimerai pas avoir sur le dos une belle famille des Aït Yazza ! Ils sont obtus, querelleurs, et tellement égoïstes ! » Ajouta un autre jeune homme, encore plus véhément que le premier.
" De toutes façons, quiconque s’allie avec cette engeance de voleurs de brebis peut se considérer comme banni immédiatement de notre clan ! Plus personne ne lui rendrait visite ni lui adresserait même la parole. On ne se mêle jamais avec les Aït Yazza, sauf pour la bagarre, ça a toujours été ainsi. » Confirma un autre, sur un ton sombre et convaincu.

Aylimas savait désormais à quoi s’en tenir ; il avait sondé un marécage de sables mouvants, où il risquait de tout perdre, l’amour des siens et l’estime de son clan, valeurs cardinales pour tout Amazigh qui se respecte. Un sentiment morose de dépit l’envahit, sa raison lui disait d’oublier cette rencontre, d’effacer de sa mémoire cette vision lumineuse qui avait éclairé un moment son âme obscure de façon fulgurante. Il baissa la tête sans plus rien dire, résigné à se défaire de son beau rêve et de retourner à la sagesse et à la réalité.

Il soupira profondément, à tel point qu’Aylal s’en rendit compte et le dévisagea :
" Mais qu’as- tu donc à être mélancolique ainsi ? Serais- tu mordu par l’aspic de l’Amour, par hasard ? Ma parole, tu en as tout à fait l’air ! Hé ! les gars ! Aylimas est amoureux ! » Et ils éclatèrent tous d’un rire tonitruant, tandis que le jeune homme restait silencieux, taciturne et engoncé dans son abernous, comme pour cacher ces sentiments impérieux qui le tourmentaient...

L’amour ! Cette folie imprévisible qui venait tout à coup changer sa vie monotone mais si tranquille, la haine, cette habitude ridicule qui mettait une barrière épineuse entre les âmes et entre les peuples et l’honneur, ce poids d’orgueils stupides et d’hypocrisies accumulées qui conditionnaient tellement leurs vies, bridaient leurs sentiments naturels de tous les jours ! Il se sentait impuissant, si honteux et si vulnérable qu’il ne savait plus quoi penser ni que faire de toutes ces pensées encombrantes qui l’oppressaient. Il laissa les railleries voler au dessus de sa tête comme un mauvais orage, il en avait l’habitude avec ses amis, c’était leur façon de faire depuis toujours, mais ils n’étaient pas de mauvais bougres, bien au contraire...

Mais depuis qu’il l’avait vue il trouvait leur humour lourd, insupportable, leur incompréhension ne faisait qu’augmenter sa confusion et sa souffrance. Il avait une envie folle, aller prendre son cheval et galoper d’une seule traite jusqu’aux cascades d’Assif Agheddou, le lieu n’était pas loin, et aller la rejoindre, l’épier et pourquoi pas, s’approcher d’elle et lui parler... Mais non ! C’était inconcevable, il risquait de provoquer un esclandre affreux, les femmes étaient complètement nues en ce moment, là- bas, en train de se baigner dans les bassins... La nuit, aucun homme étranger à la tribu ne pouvait les approcher, ni les regarder, ce serait un sacrilège énorme !

Il eut alors l’idée d’aller voir Amghar, l’Agourram, le prêtre- sage de son village, et de lui faire part de son tourment. A lui seul il pourrait confesser cette passion qui le submergeait, il le conseillerait sans le juger ni lui faire de reproches comme tous les autres. Alors il se leva, prétexta qu’il était bien las après cette journée de chasse et s’en alla pendant que ses amis, songeurs, le regardaient s’éloigner.

Il hésita un moment en se dirigeant vers la maison de Amghar, le vieux sage. Puis il frappa résolument à la porte. L’Agourram fut tout étonné quand il lui ouvrit la porte car Aylimas ne venait jamais le voir comme ça, seul la nuit, bien qu’il le connaissait depuis sa plus tendre enfance. Il le fit néanmoins entrer sans lui poser de questions dans l’unique pièce de la maison, éclairée par des lampes à huile suspendues aux poutres de bois qui soutenaient le plafond. Il l’invita à s’asseoir sur un de ces magnifiques tapis de laine épaisse rouge et blanc et lui demanda la raison de sa visite. Aylimas lui raconta alors tout depuis le début, la rencontre des deux clans sur la piste, le bouleversement qu’il avait éprouvé en la voyant, son désir ardent de la revoir et ses craintes au sujet de la discorde qui menaçait son amour pour elle.

Amghar l’écouta attentivement jusqu’au bout de son récit sans dire un mot, car il pressentait que le jeune homme désirait libérer son esprit d’un fardeau qu’il ne pouvait supporter seul. Il lui servit à boire un bol d’infusion de thym au miel bien chaud et lui parla alors affectueusement, en souriant, comme s’il prenait son désarroi à la légère :
" Ce qui t’arrive, Ayli, c’est tout simplement la chose la plus merveilleuse qui soit, le sentiment le plus beau et le plus puissant qui dirige le monde depuis les origines de la création et sans lequel rien ne pourrait exister : tu es amoureux et tu devrais te réjouir de cette force qui t’envahit. Tout ça est bien naturel, vois- tu, et rien au monde ne pourrait s’opposer à cette puissance. "
" Mais je ne désire pas m’y opposer, Amghar, bien au contraire ! Mais tu sais que tout est contre moi, il suffit que j’évoque cet amour à ma famille et à mon entourage pour que je m’attire les pires ennuis ! Cette haine incoercible entre les nôtres et les Aït Yazza semble un obstacle impossible à franchir. Moi- même, vois- tu, je me demande si je ne suis pas devenu fou."
" Non, Ayli, répondit l’Agourram, cette fois- ci sincèrement compatissant. Bien au contraire, c’est toi le plus sensé de notre village et qui sait, ton amour splendide pour cette fille est peut- être un signe du destin. Cette mésentente futile entre frères a assez trop duré ! Ce serait merveilleux si votre amour scellait l’union de notre peuple. Voilà ce que je te propose : Je pourrai grâce à mon amitié avec Massa la tagourramte des Aït Yazza t’arranger une rencontre avec cette jeune fille et si nous y arrivons, infléchir les cœurs de vos parents pour qu’ils acceptent votre mariage. Qu’en penses- tu ? Si tu veux, dès demain je me rendrai aux cascades d’Assif Agheddou. Tu pourras m’accompagner, avec moi tu ne crains rien. »

Après ces paroles réconfortantes et emplies d’espérance Aylimas se sentit un peu soulagé et il se mit à espérer de nouveau.

Le lendemain matin il se leva très tôt, encapuchonna son faucon et prétexta une partie de chasse à sa mère qui était déjà réveillée et qui cuisait du pain au four à bois. Il fût gêné de lui mentir mais s’il lui eût dit la vérité il l’aurait inquiétée et sans doute inutilement, elle se serait laissée emporter et aurait tout dévoilé à son mari.

Il se rendit à cheval jusqu’au Rocher de la Juive, là où il y avait une vieille cabane de berger où l’on pouvait se protéger du froid et de la pluie et où l’attendait déjà Amghar tenant la bride de son vieil âne. Ils trottèrent tranquillement à travers la forêt de chênes lièges ténébreuse encore à cette heure, qui exhalait les douces effluves d’humus imprégné de rosée matinale, sous les ombres fantastiques des branches géantes qui se déployaient au dessus de leurs têtes, comme des bras de géants. Des écharpes de brumes opalines flottaient entre les troncs d’arbres et on aurait cru les traînes de fées sylvestres s’enfuyant à l’aurore. Tout là- haut, dans les frondaisons, des singes magots s’éveillaient, dérangés par le bruit des sabots des montures. Arrivés auprès d’un précipice où s’amoncelaient d’énormes rochers de granite, ils commencèrent à percevoir la rumeur persistante des chutes d’eau. Plus ils en approchaient plus le murmure devenait un grondement continu, les obligeant à élever leurs voix pour s’entendre parler.

" Nous voici arrivés aux cascades ! C’est l’heure où le soleil va se lever au dessus du mont Azegzaw ! Nous arrivons au bon moment ! Je te conseille de rester derrière moi, quand nous serons en bas. » Dit l’agourram, en portant la main près de sa bouche, pour se faire comprendre. Au creux du précipice ils mirent pied à terre et poursuivirent leur descente entre les frondaisons, puis Amghar fit un geste à Aylimas lui demandant de rester là, caché derrière un épais bosquet pendant qu’il continuait seul, vers la cascade toute proche. Aylimas attacha son cheval et l’âne du druide à une branche qui s’élançait comme un éperon d’un tronc, puis il prit son faucon et entreprit de s’amuser avec lui, le soulevant vers le ciel et le relâchant d’un coup bref, puis le rappelant à lui par des modulations de voix aiguës. Il admirait son envol rapide et puissant et commença sans s’en rendre compte vraiment à fredonner des chants mélancoliques qu’il composait spontanément pour passer le temps :

« Envole- toi, mon faucon, près de ma tourterelle,

Transmets lui mon amour, couvre- là de tes ailes,

Protège- là des chasseurs qui veulent la capturer

Qu’importent les moqueurs, ils ne peuvent nous séparer !

Nous aurons pour demeure l’immensité du ciel

Nos tendres baisers auront la saveur du miel

Notre lit sera fait de fleurs et de verdure

Que peuvent nos ennemis face à un amour si pur ?... »

Il ne pût s’empêcher alors de s’approcher le plus près de la haute butte qui l’empêchait de voir les cascades et les bassins d’eau d’où s’élevaient jusqu’à lui des rires, des chants et des cris de liesse, quand les premiers rayons du soleil commencèrent à poindre dans une féerie de pourpres et d’ors au dessus de l’horizon. Arrivé au point extrême du promontoire d’où il pouvait contempler la scène magique sans être vu il se coucha sur le sol, embusqué comme la panthère à l’approche des gazelles. La rivière tumultueuse était là, sous ses yeux, il percevait l’immense chevelure argentée des cascades qui s’abîmaient avec fracas dans une cuvette peu profonde par endroits, parsemée de rochers sombres et de lauriers aux fleurs roses et blanches. Là, dans le tumulte joyeux des eaux se baignaient, s’éclaboussaient une quinzaine de jeunes femmes à moitié immergés, toutes nues, les cheveux tressés en couronne au dessus de leurs têtes, insouciantes comme des gamines éperdues de bonheur. Sur la rive un groupe d’hommes, jeunes pour la plupart, observaient de temps en temps les Vénus radieuses avec indifférence, préférant s’adonner à un jeu de lancer de cailloux qu’ils projetaient en l’air pour les saisir ensuite avec dextérité.

Un peu plus loin il aperçut l’agourram Amghar conversant calmement avec Massa la prêtresse, tous deux assis auprès d’un feu se consumant lentement. De la pointe de la butte où il était caché il n’arrivait pas à la distinguer parmi les autres jeunes filles ; alors il rampa jusqu’à un taillis de genêts touffus qui poussaient au pied d’un roc. Là, tapi sous l’épais feuillage il put scruter les visages des baigneuses et il la reconnut soudain, tellement ravissante et si resplendissante de beauté et de bonheur parmi ses amies. Il se sentit frémir d’émotion, son souffle devint rapide et saccadé, il écarquilla les yeux pour mieux la voir, comme s’il désirait l’atteindre de son regard exalté.

« Je t’aime ! Je t’aime ! », S’entendait- il crier au plus profond de ses pensées. Il savoura avec délice et gourmandise ces instants où il put la contempler à loisir, dévorant du regard cette silhouette parfaite, cette chair opulente qui irradiait de jeunesse et de plaisir de vivre, ruisselante de beauté. Il dégustait dans l’ombre, comme un enfant glouton, chaque parcelle de son corps, il en avait presque la saveur ambrée sur ses lèvres et dans chaque parcelle de son être. Il demeura là, les narines frémissantes au ras de la poussière et des gravillons, le regard brûlant de désir, en extase devant son sourire éclatant et ses rires cristallins qui résonnaient jusqu’à lui comme la plus savoureuse des mélodies.

A un moment la tagourramte se leva et héla les jeunes filles, à l’instant même où le disque solaire se dégageait triomphalement au dessus de la courbe mauve des collines. Alors les baigneuses sortirent de l’eau comme à regret et une fois sur la berge elles s’essuyèrent, s’assirent en cercle autour du bivouac et défirent leurs tresses, libérant leurs longues chevelures qu’elles coiffèrent longuement avec plaisir en les enduisant d’huiles parfumées. Pendant qu’elles s’adonnaient à leur toilette en fredonnant des chants en l’honneur de Tafoudite, la tagourramte appela la jeune fille et l’isola du cercle de ses amies. Aylimas sentit son cœur battre plus fort, il vit Amghar le druide s’approcher à son tour de sa bien aimée et il comprit qu’ils étaient en train de parler de lui. Il en avait le souffle coupé, il scrutait leurs gestes et les moindres expressions de leurs visages, la fille semblait ébahie et ravie à la fois.

Pendant qu’il essayait de comprendre ce qui se passait il vit soudain l’un des jeunes hommes quitter précipitamment ses compagnons et se diriger vers l’endroit même où il se terrait ! Son cœur battit la chamade, il désira détaler sur le champ, tant l’homme avançait d’un pas décidé dans sa direction. Il se crut repéré, leva un regard atterré vers l’imposante silhouette sombre qui se tenait au dessus de sa tête, ferma ses yeux si forts et fit le mort, attendant d’un instant à l’autre quelque coup terrible, quand tout à coup il sentit un ruissellement chaud et bruyant s’abattre sur son visage ! La peur était plus forte que le dégoût, Aylimas resta inerte et crispé pendant que l’homme finissait de s’égoutter et de remettre son pantalon. Il l’entendit se racler la gorge, cracher puis s’éloigner ; alors il risqua d’ouvrir un œil en essuyant le liquide salé et poisseux au dessus de ses paupières et de ses lèvres. Il avait le nez trempé dans la flaque jaunâtre et nauséabonde mais il n’osait toujours pas bouger. Il jeta un bref coup d’œil sur le malotrus qui se rasseyait auprès de ses compagnons et vit la jeune fille qui s’était rhabillée d’une longue tunique blanche et d’un abernous mauve. Elle mit gracieusement la capuche pointue au dessus de sa tête et entreprit de suivre docilement Amghar l’agourram qui marchait devant elle. Aylimas comprit soudain ce qui se passait...

Il se retira prestement de sa cachette et regagna l’endroit où Amghar lui avait demandé de l’attendre. Il tremblait de tout son corps, secouant de ses vêtements les brindilles d’herbe et la poussière qui s’y étaient accrochées et essaya d’avoir un maintien le plus naturel possible, tandis qu’il entendait déjà les pas hésitants du druide et de la jeune fille avançant vers lui avec difficulté à travers la sente pierreuse. Il se tint immobile auprès de son cheval, le faucon juché sur son poing, comme s’il n’avait pas bougé de là depuis que Amghar l’avait quitté. En voyant la jeune fille s’approcher de lui il avait la désagréable impression de défaillir à nouveau , il ne savait plus quoi lui dire ni que faire, il sentait ses jambes fondre comme de la cire, un souffle restait suspendu dans sa gorge nouée, comme une boule de laine l’empêchant de respirer librement.

" Tu en fais une tête, Ayli ! Ma parole, tu as l’air complètement défait ! Aurais- tu été attaqué par un lion ? » Fit l’Agourram, visiblement inquiété par sa mine. Aylimas ne put qu’émettre un borborygme en guise de réponse, le regard hypnotisé par la belle qui s’était arrêtée derrière le druide, le dévisageant à son tour de ses merveilleuses prunelles couleur de noisette, toute étonnée.
" Ayli, voici Mammes, qui a accepté comme tu vois de te rencontrer. Je vous laisse faire connaissance, pendant que je vais mener les montures se désaltérer, mais garde ton volatile avec toi. » .

Amghar délia le cheval et l’âne sans plus rien dire puis s’éloigna lentement en les laissant seuls. Ils restèrent là un moment, figés l’un face à l’autre, saisis de timidité et ce fut Mammes qui brisa cette glace de silence et de stupeur qui les tétanisait :
" Comme il est merveilleux, ton bel oiseau ! Je n’en avais jamais vu un d’aussi près ! Comme il est fascinant ! Il n’est pas agressif au moins ? Je peux le toucher ? Dis ? » fit- elle, ingénue, en s’approchant résolument de lui.
" Euh... Non, non, il est inoffensif, tu peux le toucher... » Et elle posa une main gracieuse et clair sur l’encolure du rapace qui se mit à secouer sa petite tête au bec crochu de haut en bas, comme pour la saluer. Elle souriait, effarouchée et amusée à la fois par l’oiseau et l’attitude d’Aylimas.
" Mammes... Je voulais tellement te rencontrer ! Je pense à toi depuis que je t’avais vue sur la route... Je ne suis plus le même, tu m’as transformé comme...Comme... » Dit- il d’une seule traite, comme si toute l’émotion qu’il contenait douloureusement en lui venait de se libérer tout à coup. Surpris par sa verve embrouillée il s’interrompit, bouche bée, impuissant à trouver d’autres mots.
" Je t’ai donc troublée au point que je ne te reconnaisse plus ? En effet, entre hier et aujourd’hui tu n’es plus le jeune homme fringant qui m’a tant séduite ! Tu ressembles à un vagabond chargé de poussière et de misère ! Eh ! Mon Dieu ! Cette odeur désagréable qui émane de toi ! Mais que t ’ est-il donc arrivé ? » Lui dit- elle en esquissant une petite mine de dégoût qui le submergea de confusion.
" Oh ! Ce n’est rien ! Ce n’est rien ! C’est une longue histoire à raconter, sans importance... Pardonne mon état, je le regrette. » Fit- il, piteux.
" Moi aussi, Aylimas, ta rencontre m’a énormément troublée et je n’ai cessé de penser à toi. Oui, je t’aime, et dans mes prières à notre déesse Tafroudite, dans chaque geste de mes offrandes et mes libations c’est à ton visage que je pensais et je suis surprise qu’elle ait exaucé mes vœux si rapidement ! Je te désire, Aylimas, comme époux si tu veux de moi, mais tu es conscient des difficultés qui nous menacent.... »

Après cette déclaration d’amour Aylimas se sentit pousser un cœur aux ailes de faucon, il retrouva toute son assurance et son élan, plus aucun obstacle ne lui faisait désormais peur. Il se sentit gagner par un enthousiasme irrésistible, prêt à renverser toutes les murailles s’il le fallait, tant ses paroles émouvantes et sincères l’avaient convaincu définitivement et marqué au fer rouge de l’amour jusqu’au plus profond de son être.
" Oh ! Mammes ! Qu’importent les obstacles ! Fais- moi seulement confiance, nous serons mille fois plus puissants qu’eux ! Nous avons l’amour et la protection des dieux avec nous ! Toi et moi nous serons plus forts que nos deux clans réunis. Ne t’inquiète pas, nous vaincrons et ils verront que c’est nous qui avions raison ! »

Il débita ces paroles enflammées et conquérantes sans se rendre compte qu’il tenait dans ses mains brûlantes ses doigts si frêles et si doux qui le pressaient de temps en temps avec tendresse et dévouement. Ils s’étaient unis avec fougue dans ce bosquet sombre au lever du jour et ils surent qu’ils ne se quitteraient jamais plus. A ce moment ils entendirent l’agourram qui revenait en toussotant bruyamment pour se faire signaler. Profitant d’un dernier instant d’intimité il lui vola un baiser si furtif et si tendre qu’il eut juste le temps de lui bafouiller :
" Va, mon amour, mon âme reste auprès de toi ; je te donnerai de mes nouvelles bientôt. »
" Oui, mon bien aimé, nous nous reverrons ! Mais promets- moi que la prochaine fois tu seras propre et parfumé ! »

Amghar apparut, mine de rien, tenant les deux montures bien sages derrière lui. Il les dévisagea d’un regard malicieux et complice puis leur dit :
" Mammes, il est temps que je te raccompagne auprès des tiens. Il ne faut pas que tu tardes pour les rituels. » Puis, comme il s’aperçut que les deux jeunes amoureux avaient de la peine à se séparer il dit en souriant :
" Allons ! ne vous en faites pas ! Je vous promets que vous vous reverrez très bientôt ! » Et il fit signe à Mammes de le suivre à travers le sentier jonché de rocailles. Aylimas resta seul, au comble de l’extase, il tressautait de joie en secouant son faucon encore juché sur son poignet. Il avait hâte soudain de rentrer chez lui, affronter son père, sa mère, son frère, ses amis et toute sa tribu, la terre toute entière s’il le fallait pour dire l’immense joie qui l’inondait comme une pluie de délices et de feu. Une liesse fulgurante le consumait.

Sur le chemin du retour l’agourram perplexe s’enquit de l’état où il l’avait trouvé. Gêné Aylimas répondit aussitôt par un autre mensonge grotesque :
" Oh ! Ce n’est rien ! J’avais aperçu un marcassin et en voulant le poursuivre je me suis pris le pied dans une racine et je suis tombé dans une mare. » Il remarqua que depuis qu’il était tombé amoureux il mentait à tout va tant cette aventure sentimentale le mettait à chaque fois dans des situations embarrassantes. Il n’aurait jamais pu avouer à Amghar qu’il l’avait suivi en cachette et qu’il avait tout épié.
" Une mare ? Comme c’est curieux... Ce devait être plutôt une fange de sangliers... » Répondit l’agourram, mi sarcastique mi interloqué.

Aussitôt rentré chez lui Aylimas courut se changer, puis il se lava. Son père était à la bergerie, en compagnie de Idder son frère aîné, en train de tondre des moutons.
" Ah ! Te voilà, toi ! Alors, Aylimas, la chasse fut- elle bonne ? On ne te voit plus très souvent, ces jours- ci... »
" Père, je voudrais te parler, si tu le permets... » Fit Aylimas pour éviter toutes remontrances à venir. Il préféra passer tout de suite à l’offensive et son secret lui brûlait les lèvres.
" C’est donc si urgent que ça ? Nous avons tellement de travail aujourd’hui, c’est bientôt la transhumance, tes histoires de fauconnerie et de chevaux peuvent attendre, non ? » Dit son père en ahanant, tenant fermement un bélier les quatre pattes en l’air, tandis que son autre fils, qui ne semblait pas du tout intéressé par les préoccupations de son frère cadet donnait de grands coups de ciseaux dans la toison chargé de suint.
" Père, je désire me marier. Je te demande la permission de demander la main de ma future épouse à ses parents... »

Les deux tondeurs restèrent interloqués. Idder cessa de tailler les touffes de laine et demeura bouche bée un instant, les ciseaux grands ouverts dans sa main relevée. Son père lâcha presque la bête et il dut la maîtriser une nouvelle fois, puis il éclata de rire.
" Ah ! Coquin ! Je comprends maintenant tes escapades et tes allures mystérieuses ! Mais c’est une bonne nouvelle ! Et qui est l’heureuse élue ? » Désormais Aylimas était acculé ; il s’était montré audacieux, emporté par son enthousiasme et maintenant il devait tout dévoiler. Il respira profondément puis il annonça d’une voix blanche :
" Elle s’appelle Mammes et c’est une fille de la tribu des Aît Yazza. » Cette déclaration fut tellement brutale e inattendue que les deux hommes lâchèrent le bélier qui détala se réfugier au sein du troupeau à moitié tondu. Le père se releva, fit face à son fils et dit d’une voix sombre :
" Aylimas, mon jeune garçon, tu as dû abuser de trop de coloquinte ou de pavot. Va vite te reposer, je te verrai plus tard... »
" Non, Ibba, je n’ai usé ni de pavot, ni de cannabis et encore moins d’alcool de figues. Je suis tout simplement amoureux et j’ai réellement envie d’épouser Mammes. »

Le père et son fils aîné perçurent les paroles calmes et posées d’Aylimas comme une provocation insoutenable, surtout Idder qui n’arrivait pas à maîtriser sa colère. Il empoigna son jeune frère par le col et le plaqua brutalement contre une colonne de soutènement, en criant de rage :
" Insolent ! Je t’interdis de parler sur ce ton à Ibba ! Je vais te rosser si tu persistes dans ta folie ! Tu m’entends ? Non seulement tu es fainéant il faut maintenant que tu jettes l’opprobre sur notre maison ! » Et il s’apprêta à lui asséner un coup de poing de sa main puissante mais son père le retint, en parlant doucement :
" Laisse, Idder, tu vois bien que ton frère délire... N’est- ce pas, Aylimas, que tu ne réalises pas ce que tu dis ? Sinon je ne te considère plus comme mon fils, je te déshérite et je te prie de quitter ma maison sur le champ. Car ce n’est pas à coups de poing que je te chasserai, mais à coups de fourche dans l’arrière train et dans les côtes. »
" Qu’il en soit ainsi, père, je ne changerai en rien ma décision, malgré tout l’amour et le respect que je te dois. » Répondit Aylimas en secouant son abernous et il s’apprêta à partir tandis que sa mère, alertée par les éclats de voix provenant de l’étable apparut toute anxieuse à l’embrasure de l’entrée grande ouverte.
" Mais que se passe t - il ici ? Aylimas, mon petit, qu’as- tu ? Idder, dis- moi ce qui se passe ! »

Idder demeura silencieux, fulminant encore de colère, tandis que Aylimas s’arrêta à la porte, agrippé par sa mère. Ce fut le père qui déclara :
" Laisse le déguerpir, ce vaurien ! Il n’a plus rien à faire sous mon toit ! Qu’il aille donc rejoindre sa traînée chez ses amis les Aît Yazza ! »

La mère commença alors à crier, en pleurant, rameutant toute la famille et les voisins, tandis que Aylimas, consterné, s’éloignait de la maison presqu’en courant, résolu à partir.

La nouvelle se répandit, sinistre et démesurée comme un vol de criquets à travers tout le pays des Aît Braîm. Désormais Aylimas fut considéré comme un paria, un renégat écervelé que personne ne regretta car il avait osé outrepasser l’un des pires interdits de la tribu. Il n’ y avait plus que sa mère qui le pleurait, accusant les femmes Aït Yazza de l’avoir ensorcelé, prétendant qu’elles étaient réputées magiciennes terribles, expertes en sortilèges de l ’amour. Tout le monde fut d’accord avec elle, sauf Amghar l’agourram, bien sûr, qui était dépassé par l’émoi qu’avait suscité l’idylle innocente de Aylimas. Il se sentait un peu responsable de cette situation et il tentait comme il le pouvait de calmer un peu les esprits échauffés. Il essaya à maintes fois de raisonner le père du jeune homme ainsi que les anciens de la tribu mais en vain.

" Mais quel mal y a t’ il à ce que Aylimas convole avec une jeune fille d’une autre tribu ? Quel crime ont donc commis les Aît Yazza pour qu’on les haïsse à ce point ? Est- ce seulement à cause de cette rivalité au sujet des pâturages et des cours d’eau ? Mais vous savez bien qu’il y a tellement de prairies et de rivières dans notre pays pour notre immense peuple ! Ce n’est pas la rareté des ressources naturelles qui est la cause de ces rancœurs mais votre avarice et votre cupidité ! Ainsi vous vivez avec cette impression de misère et de peur de manquer, d’être volés de l’herbe et de l’eau qui abondent et qui appartiennent à tout le monde ! Apprenez à partager et vous vivrez heureux. Apprenez à donner et vous vous enrichirez ! »

L’agourram était exalté par son discours mais les hommes du village qui partageaient la colère et l’amertume du père d’Aylimas l’écoutaient à peine et ne semblaient pas du tout convaincus par ses idées généreuses. Aberkane, le plus véhément contre les Aït Yazza et contre tous ceux en général qui étaient étrangers à son clan riposta :
" C’est bien beau ce que tu proposes, Amghar, mon noble ami. Tu es un homme sage, et tu connais tous les secrets de la nature et les mystères de l’âme humaine, tu as gardé l’histoire de notre peuple et de notre pays, mais tu n’es pas du tout conscient des contraintes de la vie de tous les jours, combien l’eau est précieuse pour irriguer nos champs et abreuver nos bêtes, combien les fourrages sont une denrée primordiale pour notre survie ! Toi qui es un homme de savoir et de sagesse tu vois le bien partout, mais tu es aussi rêveur et insouciant que notre barde Ahyad ! On dirait que tu ne sais pas à quel point nos ennemis convoitent nos biens et qu’ils sont prêts à nous étriper pour tout nous prendre ! Et les Aït Yazza, ces infâmes voleurs de bétail sont les pires de nos rivaux ! Ainsi, mes chers amis nous devons rester sur nos gardes, assurer la sécurité et le bien être de notre clan avant de penser aux étrangers qui rodent autour de nos terres ! »

De nombreux hommes hochèrent gravement la tête pour exprimer leur approbation. Aberkane se rengorgea, satisfait de sa démonstration orale si simple et si percutante à la fois. Il gonflait sa large poitrine comme un coq de combat et relevait le menton, fier de son rang de chef et de sa puissance. Amghar, quant à lui, était complètement désespéré. Il savait combien ces hommes étaient âpres au gain, fiers et belliqueux, accrochés à leurs traditions fussent- elles dépassées et mauvaises , de peur de perdre leurs repères et d’être confrontés à l’inconnu. L’imitation leur tenait lieu de modèle et le conservatisme le plus absolu comme garde fou contre toutes les innovations suspectes et les idées nouvelles venues d’ailleurs, donc forcément dangereuses.

Il se releva et quitta l’assemblée, triste et abattu, en pensant à Aylimas qui devait errer seul dans la nuit, sans rien à manger. Il eut soudain un éclair de génie sur le chemin de sa maison. Il pensa au Rocher de la Juive et à la vielle cabane de berger, là où il avait attendu lui même Aylimas ce matin où il lui avait donné rendez- vous. Il y avait là un lit de paille et s’il fût à sa place sans aucun lieu où aller, c’était là-bas qu’il irait s’abriter. Il rentra vite dans sa maison, prit des couvertures, de quoi faire du feu, du pain, du fromage et de la viande séchée et se rendit immédiatement au refuge.

Pendant ce temps, chez les Aît Yazza, la situation de Mammes n’était guère meilleure. Aussitôt rentrée de son pèlerinage aux cascades d’Assif Agheddou son père et sa mère se rendirent compte tout de suite de sa transformation fulgurante. Leur fille était devenue plus radieuse et plus épanouie que d’habitude, elle était rêveuse, une étrange béatitude émanait d’elle et la rendait plus lumineuse.
" Ma fille, comme tu es belle ! La déesse Tafroudite t’a été certainement favorable ! Tu irradies de sa grâce ! »
" En effet, commenta Azzug son père plus rationaliste. Ces baignades matinales sont revigorantes et t’ont été bénéfiques. Il n ’ y a aucun mystère à cela, les eaux minérales d’Assif Agheddou au petit matin sont excellentes pour la santé et rajeunissent la peau. »

Alors Mammes, imprudente, leur confia le vrai secret de son bonheur :
" Père, mère, je suis amoureuse, oui, d’un beau jeune homme qui m’aime et qui désire m’épouser ! » Sa mère fut ébahie et son père se ressaisit, méfiant. Il coupa court au lyrisme de sa fille :
" Et qui est donc ce prince charmant qui a ébloui ma petite fleur de jasmin à ce point ? Nous le connaissons, bien entendu... Va, dis- nous le nom de sa famille . »
" Est- ce donc ton cousin Ilmas ? Renchérit sa mère, curieuse. Je le savais bien, il y a longtemps qu’il y avait anguille sous roche entre vous deux... Allez, dis... »

Mammes se sentit tout à coup prise au piège et regretta sa spontanéité ; elle rougit et ne put plus se rétracter.
" Euh... Non, mère, il ne s’agit pas d’Ilmas et il n’est pas de notre clan. Il s’appelle Aylimas et il appartient à une famille des... Aït Braîm... »

Elle prononça ces derniers mots d’une voix éteinte mais suffisamment audible pour que ses parents soient comme foudroyés. Tandis que la mère s’affalait sur des coussins, complètement liquéfiée, Azzug fulmina aussitôt comme un cobra sur la défensive :
" Comment ? ! Un Aït Braîm ! Il n’en est pas question, m’entends- tu ? Tant que je suis vivant tu n’épouseras pas un homme de cette engeance ! Un Aït Braîm ! Mais tu es complètement folle, ma fille ! Tu épouseras ton cousin Ilmas, c’est notre volonté, tu le sais très bien ! C’est une affaire réglée depuis longtemps. »
" Pourquoi veux- tu épouser un étranger à notre clan, Mammes ? Un Aït Braîm, de surcroît ! Il va te maltraiter, ce sont des brutes, tu seras bien malheureuse, tu sais comment ils sont... »

Sa mère éplorée tentait de la dissuader, son père restait de marbre, ferme dans sa décision. Il attendait que Mammes regrettât ses paroles, qu’elle se soumette à son ordre, même si elle fut contrariée. En effet Mammes pleurait silencieusement et ses parents se disaient que ça lui passera, qu’elle oubliera vite ses chimères. Sa mère commençait déjà à la consoler et à la cajôler, croyant qu’elle fut devenue docile. Puis la jeune fille dit calmement :
" Je n’ai jamais désiré Ilmas comme époux. C’est avec Aylimas, m’entendez- vous, que je veux vivre ! C’est lui seul que j’aime et que j’aimerai toujours ! » Depuis ce jour ses parents décidèrent de l’enfermer à la maison, de lui interdire de sortir jusqu’à son mariage avec Ilmas, l’été suivant.

La querelle entre les deux tribus voisines trouva dans cet incident un prétexte assez grave pour s’amplifier de plus belle, d’autant plus que la saison des transhumances allait débuter avec le retour des beaux jours et que la rivalité pour les terres et les pâturages et les points d’eau allait recommencer. Dans chacun des deux clans on s’accusa réciproquement d’avoir séduit, voire ensorcelé les deux jeunes gens et de manigancer quelque tactique ignoble pour semer le trouble et la zizanie au sein des familles.

Les chefs et les notables des deux parties antagonistes en firent une affaire personnelle de la plus haute gravité et se menacèrent de représailles par le biais de messagers désignés. La tagourramte Massa fit de son mieux pour apaiser la situation au sein de sa tribu mais elle ne fut pas plus écoutée que Amghar auprès des siens. C’est à peine si on ne l’accusa d’être en intelligence avec l’ennemi, tant elle fut la seule à ne pas prendre part aux vindictes et aux diatribes lancées aux Aît Braïm, ces fauteurs de troubles, voleurs de bétail et accapareurs d’eau et maintenant séducteurs des filles de bonne famille.
" Mais écoutez- moi donc ! Il n’ y a dans cette affaire ni perfidie ni attaque pernicieuse à l’honneur de notre tribu ! Il s’agit tout simplement de deux jeunes cœurs qui s’aiment tendrement et sincèrement ! Pourquoi devrions- nous toujours marier nos filles au sein de notre clan ? Cette tradition n’a aucune justification et elle est nuisible aux futures générations. Tant de jeunes de notre tribu rêvent de convoler et ne trouvent pas de maris ni d’épouses !. » Clamait- elle au sein de l’assemblée de son village.

_ Vénérable Massa, malgré ton ministère de prêtresse qualifiée et de messagère des dieux tu as failli à ta mission cette fois- ci. Les Aît Braïm t’ont retournée contre nous pour s’immiscer dans nos affaires et porter atteinte à la dignité de l’une de nos filles. Si l’on laisse faire selon tes vœux et ceux de nos ennemis bientôt une grande partie de nos possessions passera par le biais des mariages exogènes et le jeu des héritages entre leurs mains ! Nous voyons très bien le principe de leurs machinations et tu voudrais leur faciliter la tâche, on dirait. »

Massa passait subitement du rôle de sage conseillère au rôle infâme d’espionne, accusée de pervertir les consciences vulnérables des jeunes filles en mal d’amour. Elle eût beau de condamner les mariages forcés, ce viol ignoble porté à la liberté souveraine des femmes à disposer librement de leur corps et de leur destinée, de dénoncer la pratique de l’endogamie, ces mariages entre membres d’une même tribu, cause de dégénérescence et de déclin, elle ne fit qu’augmenter la suspicion à son égard et son rejet fut consommé, lorsqu’on lui déclara de ne plus s’approcher des jeunes filles de la tribu, tant que l’affaire de Mammes ne fût pas élucidée.

Massa avait en effet une grande renommée auprès des femmes de son village et même au delà, nulle ne la dépassait dans la lutte pour l’amélioration de la condition féminine. Elle connaissait toutes les bonnes médecines et elle était réputée pour sa sagesse et ses bons conseils dans toutes les circonstances de la vie. Toutes les femmes de l’Atlas la vénéraient et venaient lui rendre visite de très loin pour solliciter son aide. Toutes les femmes Aît Yazza furent donc inquiétées de la voir ainsi accusée de zizanie et de fomentatrice de troubles, elle qui était considérée par ses sœurs Imazighen comme l’une des mères de toutes les tribus ! Elles prirent toutes sa défense face à leur gent masculine et par la même occasion elles prirent la décision de servir la cause de Mammes, séquestrée, qui devint malgré elle le symbole de leur émancipation.

Tassâdite la grand mère de Mammes fut la première à lancer la contestation anti machiste car elle était la mieux placée à passer à l’offensive. Elle partageait tout à fait les idées justes de Massa la druidesse et ne supportait pas de voir sa petite fille prisonnière. Elle décida donc à l’aider à s’enfuir, retrouver son bien aimé. En matière de cœur et de mariage disait- elle, ce sont les femmes qui décident. Seules les femmes connaissent vraiment la valeur de la vie humaine et savent sonder la souffrance des cœurs contrairement aux hommes, fussent - ils des chefs, ces grands enfants obnubilés par leur orgueil et leur appétit de puissance, capables des pires bêtises si on les laissait prendre l’initiative, pour ne pas perdre la face et satisfaire leur soif de domination.

Un jour, donc, Tassâdite fut seule avec Mammes à la maison pendant que sa fille et son beau fils s’étaient rendus au marché du village ; elle prépara un baluchon pour sa petite fille et la pria de partir, tant que les ruelles étaient désertes. Le temps venait de changer brusquement, un ciel étrangement sombre et chargé de nuées menaçantes et tous les villageois risquaient de rentrer d’un moment à l’autre. Elle l’habilla d’un burnous d’homme, l’aida à bâter sa jument et lui dit :
" Vite ! Vite, Mammes, les premières gouttes de pluie commencent à tomber ! Ils ne vont pas tarder à rentrer ! Et n’oublie pas ce que je t’ai dit : dirige- toi rapidement vers le Rocher de la Juive, là tu trouveras ton fiancé Aylimas. Vous irez ensuite vous réfugier à Imilchil ; dans ce village on vous accueillera et on vous laissera tranquilles, le temps que vous vous mariez comme vous le souhaitez, que vous ayez un enfant, alors personne ne pourra plus vous séparer, vous pourrez revenir et on ne vous causera plus de tracasseries. Allez, ma fille, pars et que Africa vous soit favorable ! J’aurais quand même le regret de ne pas voir tes fiançailles, ni la naissance de mon arrière petit enfant ! Va avant que je commence à pleurer... »

La vieille femme regarda Mammes partir, heureuse comme une colombe d’avoir retrouvé sa liberté et d’aller à la rencontre de son bien aimé, malgré sa désobéissance. Puis elle rentra, laissa la porte de la maison entrouverte et fit semblant de dormir profondément, pour faire croire à une évasion.

Comme le temps le présageait une pluie fine et soutenue commença à tomber sans discontinuer, obligeant tous les villageois à quitter le marché. Les parents de Mammes furent alarmés de découvrir la porte de leur maison ouverte. Ils trouvèrent la grand mère alitée et leur fille avait disparu !
" Tassâdite ! Tassâdite ! Réveille- toi ! Sécria Azzug affolé. Où est Mammes ? Que s’est - il passé?" La vieille simula ne rien savoir ; elle prétendit qu’elle était bien malade, sa migraine qui revenait la terrasser avec le mauvais temps, sa surdité, qu’elle s’était endormie sans se rendre compte de rien.
"AH ! Wa Immi ! S’écria sa fille. Elle s’est enfuie ! Ils l’ont enlevée ! Rendez- moi ma fille Mammes ! »

Et aussitôt toute la tribu fut en émoi. Malgré le mauvais temps on considéra la situation assez grave pour entreprendre l’expédition punitive qui s’imposait et exiger réparation. Les hommes se mirent à cheval et partirent en amont vers le village des Aït Braïm, déterminés à en découdre, par les armes s’il le fallait, pour ramener de force la fugueuse, l’honneur de la tribu. Ce fut une cavalcade mémorable sur la piste qui montait vers les hauts plateaux où se trouvait le village de Aylimas, le ravisseur. Le fracas des sabots se mêlait avec l’éclat fantastique et lugubre du tonnerre et les éclairs pourfendaient par intermittences la robe laiteuse et obscure du ciel.

Un petit enfant de la tribu des Aît Yazza, qui était en train de ramasser des escargots sur les ronces qui bordaient la route, aperçut de fort loin la horde de cavaliers sabre au clair et il comprit tout de suite de quoi il retournait. Il jeta son couffin empli de gastéropodes et courut comme une flèche à travers les raccourcis jusqu’à son village où il s’écria, époumoné, dès qu’il eût atteint les premières maisons :
" Les Aït Yazza ! Les Aît Yazza nous attaquent en force ! "

Aussitôt l’excitation et la colère furent à leur comble, comme dans une fourmilière dérangée ; tous les hommes en âge de combattre se précipitèrent sur leurs montures et allèrent à la rencontre de leurs assaillants. Bientôt les deux meutes déchaînées furent sur le point de se rencontrer, à proximité de l’endroit même où Mammes était venue rejoindre Aylimas, dans la cabane des bergers. Les deux amoureux entendirent le grondement des sabots s’approcher d’eux comme le bruit sinistre de la fatalité ; alarmés ils sortirent de leur cachette pour se rendre compte de ce qui se passait.
Regarde, là-bas les Aît Yazza qui montent pour nous capturer ! » s’écria Aylimas, blanc comme la neige.
Et là- haut, les hommes de ton village qui arrivent vers nous ! » Hurla Mammes, épouvantée.
Montons vite vers les sommets avant qu’ils nous atteignent ! Dépêchons- nous ! » Mammes grimpa derrière Aylimas. Il talonna immédiatement son cheval qui s’était mis à hennir nerveusement à l’idée d’escalader si brusquement un chemin escarpé et caillouteux vers les sommets enneigés. Les éclats du tonnerre de plus en plus rapprochés l’affolaient, aussi il renâclait, se cabrait et maintes fois il avait failli les projeter à terre, mais Aylimas, tenace, le poussait en avant.

Bientôt ils furent bien visibles des deux groupes de cavaliers qui ralentirent aussitôt leur galop effréné. Tous les hommes étaient sidérés par la tentative folle des deux fuyards qui continuaient leur folle ascension.
" Ils sont complètement fous ! Ils vont se tuer ! C’est plein de crevasses là- haut et il n ’y a aucune issue ! » Cria Aberkane, le chef des Aït Yazza. De son côté Azzug, le père de Mammes fut brusquement envahi par l’angoisse, ainsi que ses compagnons, à l’idée de la catastrophe terrible qui risquait de survenir d’un instant à l’autre.
" Le manteau neigeux risque de s’effondrer ! Ils vont provoquer une avalanche et on ne peut même pas crier pour les prévenir ! »

Ils restèrent tous figés sur leurs montures qui piaffaient d’inquiétude, tant la pluie accompagnée de grêlons parfois tombait drue et sans doute pressentaient- ils quelque catastrophe imminente ; les cavaliers Aït Braîm avaient deviné les mêmes risques et déjà ils avaient rejoint les Aît Yazza, se mêlant à eux sans rien dire, oubliant tout à fait leurs haines réciproques. Ils fixaient tous la petite tache noire qui montait, qui montait lentement dans l’immense manteau neigeux, en retenant leur souffle, impuissants et silencieux.

Tout là- haut Mammes serrait contre elle la taille de Aylimasqui essayait difficilement d’atteindre un col qui leur permettrait de contourner l’imposante montagne. Ils avaient très froid, ils avaient peur et pour se soutenir ils se parlaient avec une infinie tendresse, oubliant tout ce qui les entourait ; les rafales de vent les enlaçaient avec fureur, mêlant sur leurs visages les larmes d’amour et de tristesse aux gouttes de pluie ruisselantes et glaciales. Ils avaient l’impression de pénétrer ainsi dans la blancheur de l’éternité.
" Rien ne nous séparera, Mammes, ni les hommes sur terre ni toute la fureur du ciel ne pourront m’empêcher de t’aimer ! Sans toi je ne puis exister. »
" Garde- moi avec - toi, Aylimas, mon amour, et que je demeure auprès de toi, mon âme, pour l’éternité. Car sans toi la vie n’est que ténèbres et souffrance. »

Ils pleuraient d’amour et de bonheur, paradoxalement, malgré l’effroi qui les étreignait. Plus ils avançaient vers un échappatoire illusoire plus ils s’adonnaient sans retenue l’un à l’autre, désirant se fondre en un seul , de toutes leurs forces, jusqu’à ne plus sentir de séparation entre leurs cœurs. Et ce sentiment d’union extrême les faisait étrangement pleurer d’extase, les aspirant vers une sphère de lumière et de félicité infinies. Ils étaient au comble de la fusion de leurs âmes qu’ils n’entendirent même pas le craquement sourd qui ébranla les entrailles de la montagne. Mammes avait posé ses lèvres frémissantes sur la joue d’Aylimas qui avait incliné sa tête. Il sentit son souffle chaud sur son visage et dans un élan d’affection il se retourna et l’embrassa. Ils s’étreignirent alors avec fougue, tandis que des pans entiers de la couverture neigeuse se détachaient brusquement des sommets et s’écroulaient en une vague gigantesque, emportant tout sur son passage. Les torrents d’eau contenus dans les hauteurs dévalèrent vers la plaine, inondant irrésistiblement la vallée, dans un fracas assourdissant. Tous les cavaliers s’enfuirent, en désordre, chacun essayant de sauver sa vie. Ils rejoignirent épouvantés leurs villages où tout le monde était anxieux après le déferlement des neiges mêlées à la boue et aux eaux que la montagne ne pouvait plus garder.

Longtemps après il y eut une accalmie, alors les habitants des deux clans se réunirent sans se concerter pour se rendre sur les lieux de la catastrophe. Bien sûr, ils n’avaient aucun espoir de retrouver les jeunes fiancés vivants, mais ils désiraient néanmoins revoir le dernier endroit où ils avaient disparu. Ils étaient froids et silencieux, ils ressentaient tous une peur diffuse mêlée d’un étrange sentiment de culpabilité et de honte, comme si les dieux s’étaient déchaînés contre eux pour les châtier à cause de la dureté de leurs cœurs et de la souffrance qu’ils avaient fait subir à leurs enfants Aylimas et Mammes.

_ Seuls les torrents du ciel peuvent apaiser les meurtrissures de nos cœurs ! la colère ne peut jamais étouffer l’amour, ni la méchanceté dominer l’innocence pour toujours ! ... » Se lamentait la tagourramte en tête du cortège des femmes éplorées. _ Nous avons voulu ériger des barrières de haine entre deux âmes pures qui aspiraient à la liberté et à la tendresse. L’orgueil et la bêtise nous ont rendus aveugles et voilà que par leurs morts ils nous ont ouvert les yeux et élargi nos cœurs ! Que jamais leur sacrifice ne soit vain ! » Clamait Amghar l’agourram, exprimant ainsi la douleur des hommes et leurs remords.

Quand ils atteignirent la montagne, emplis de tristesse, ils furent saisis de stupéfaction en découvrant deux immenses lacs qui emplissaient le creux du val. Ils marchèrent, émerveillés sur les rives encore boueuses, formant une procession funèbre pour rendre hommage aux deux disparus.
" Ces deux lacs providentiels, ce sont les corps de Aylimas et Mammes ; ils les ont rempli des larmes de leur détresse et pour nous réconcilier et nous unir ! »

Peu importait qui eût dit cette phrase, car tous approuvèrent, tant les deux lacs ressemblaient à deux magnifiques fiancés étendus côte à côte pour l’éternité. Ils donnèrent spontanément à chacune des deux étendues d’eau les noms des deux amoureux, « Isli », le lac du Fiancé, pour le plus vaste et « Tislit », le lac de la Fiancée, pour le petit.

Là- haut, dans le ciel devenu plus clément, le faucon de Aylimas tournoyait encore, libre et majestueux, au dessus des deux lacs, comme pour transmettre un dernier adieu à son ami. Ces deux lacs existent toujours, croyez- moi, et depuis cet événement toutes les tribus amazighs du coin et même les voisins lointains célèbrent cet amour tragique mais si sublime, en organisant une fois par an, à la fin de l’été, une fête des fiançailles où tous les jeunes hommes et les jeunes filles viennent pour se rencontrer et s’unir librement, pour la vie.

A. Atanane, été 2004  


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